La Syrie façon puzzle

Syrie : Afrin est tombée

La reconquête de la Ghouta par le régime syrien et l’invasion d’Afrin par la Turquie ont provoqué à nouveau le déplacement de centaines de milliers de civils. Les Kurdes du Rojava, lâchés de toutes parts, se trouvent pris en étau dans ce grand jeu qui vise à achever la partition du pays.

Dimanche 18 mars, Bachar al-Assad fait une rapide apparition de propagande à la Ghouta orientale – ancien fief rebelle à l’est de Damas reconquis par le régime au terme d’un siège terrible. Au même moment, l’armée turque et ses supplétifs se réclamant de la rébellion syrienne hissent le drapeau turc à Afrin, enclave à dominante kurde au nord-ouest du pays.

La veille, les combattants kurdes des YPG et l’auto-administration de la ville avaient décidé d’évacuer afin de ne pas exposer davantage la population aux bombardements. Les semaines de pilonnage précédant sa prise avaient déjà été bien assez coûteuses en vies humaines – pertes évaluées à 1 400 morts parmi les combattants et 286 chez les civils.

Kawa foulé au pied

Le premier geste des mercenaires pro turcs a été de jeter à terre la statue du forgeron Kawa, figure de la culture kurde symbolisant la lutte contre le despotisme. Puis certains se sont livrés au pillage. Le chef mandaté par les Turcs pour mettre un peu d’ordre entre gangs rivaux s’est révélé être al-Faruq Abubakr, membre d’Ahrar al-Sham, un groupe salafisto-nationaliste1 accusé de crimes de guerre à Alep et Idlib par Amnesty international. Depuis, l’armée turque essaie de se lancer à la conquête des cœurs, des esprits et des ventres, invitant la population à revenir en lui promettant la sécurité. De leur côté, les YPG, refoulés vers l’est, ont promis de mener une guérilla incessante contre l’envahisseur.

Par Maïda Chavak.

Peu d’observateurs ont relevé la faiblesse de la protestation d’Assad et l’absence de réaction des Russes face aux ambitions du président turc Erdoğan : installer un gouvernorat tout au long de la frontière jusqu’en Irak. Il semble clair qu’Ankara et Moscou suivent un agenda, scellé par un pacte en août 2016. Celui-ci a permis la reprise de la ville d’Alep par le régime et autorise désormais les opérations turques contre les Kurdes, à qui les Russes ne pardonnent pas l’alliance avec la coalition états-unienne. D’ailleurs le prochain test à haut risque de l’expansionnisme turc s’annonce à Manbij où stationnent des militaires américains aux côtés des forces kurdes.

Remodelages démographiques

Ce moment tragique participe à la partition du pays coordonnée par la Russie, l’Iran et la Turquie. Tandis que se constitue un « havre de guerre » dans la région d’Idlib, où se concentrent les différentes factions de la rébellion, toutes à couteaux tirés, des centaines de milliers de Syriens réfugiés en Turquie pourraient « être installés » à Afrin. Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme, les déplacés d’Afrin sont quant à eux empêchés de revenir et rackettés, tant par les forces pro-turques que par les milices pro régime.

Par ces remodelages démographiques, le régime de Bachar et ses milices, comme Erdoğan et ses mercenaires, détruisent méthodiquement, à Afrin comme ailleurs en Syrie, la coexistence des différentes identités – arabe, kurde, arménienne, turkmène, musulmane, chrétienne, alaouite, alévi et yézidi. L’existence même des Yézidis, minorité kurdophone persécutée par les islamistes en raison de son paganisme, se voit menacée dans la région. « Avant la guerre, nous étions 50 000 autour d’Afrin », explique un responsable communautaire à La Croix (21/03). Les quelques milliers de Yézidis encore présents ont finalement fui l’invasion turque, rejoignant une cohorte de 300 000 déplacés. L’article fait aussi état de disparitions de vieillards et de familles restés sur place.

Le 26 mars, Erdoğan déclarait : « Notre opération ne se terminera pas à Afrin. Les terroristes du PKK se dirigent vers Sinjar. J’ai dit que nous entrerons dans Sinjar. » C’est justement ce district au nord-ouest de l’Irak que 100 000 Yézidis avaient fui en août 2014, pour échapper à Daech2. Les combattants kurdes leur avaient ouvert un corridor humanitaire afin qu’ils se réfugient en Turquie. Avec la bataille de Kobané, cela avait marqué l’entrée en guerre des YPG contre Daech.

En envahissant la zone tenue par les Kurdes, Erdoğan accomplit la vengeance de Daech. Et en affaiblissant leurs forces, il permet aux groupes djihadistes de revenir dans cette danse macabre.


1 On parle aussi d’islamo-nationalistes, plus ou moins issus des Frères musulmans syriens, pour les distinguer des takfiris, type al-Nosra ou Daech, partisans d’un djihad global.

2 Rappelons que plus de 4 000 femmes yézidies ont été réduites en esclavage sexuel par les daechiens.

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