Quand on veut noyer son chien…

700, 800 ou 900 morts en un seul naufrage. À la louche. Quelques centaines d’hommes, de femmes, d’enfants ont sombré en silence, aux portes de l’Europe. Ils ne nous raconteront pas leurs histoires. Ici, on préfère les cantonner dans le champ de la pure statistique, au mieux victimes, au pire délinquants. À croire que l’on n’a pas envie de les écouter. Ou que l’on pense déjà tout savoir quant à leur odyssée1. La parole est aux experts et aux politiques, eux savent de quoi ils causent. « Quand quelqu’un se noie, on ne lui demande pas ses papiers », s’indignait Nathalie Kosciusko-Morizet. «  Nous ne pouvons accepter que des centaines de personnes meurent en essayant de traverser la mer pour venir en Europe », s’étranglait le président du Conseil européen, Donald Tusk.

Mais les larmes de crocodile sèchent vite. « Parce qu’il faut savoir que ceux qui font les trafics, qui mettent des personnes sur des bateaux pourris, des vaisseaux qui sont faits pour disparaître en mer […], sont des terroristes », gronda François Hollande, toujours aussi matamore quand son regard se tourne vers l’Afrique. Il oublie que l’Occident est à l’origine de nombreux déséquilibres alimentant cet exode. Il oublie que l’Europe aura besoin de vingt millions d’immigrés pour compenser une trop faible natalité. Il oublie que toute prohibition crée la mafia qui s’enrichit en la contournant. La guerre aux migrants s’externalise le plus loin possible de nos côtes. L’Union européenne envisage, à l’instar de ce qui se pratique contre les pirates somaliens, la destruction – par des drones ? – des embarcations susceptibles d’être utilisées par les trafiquants d’êtres humains. On imagine les bavures  : Oh, pardon, vous étiez de vrais pêcheurs  ! On sait que des gardes-côtes grecs ont déjà sabordé des bateaux bondés de réfugiés syriens. On se souvient de la guardia civil espagnole tirant des balles en caoutchouc sur des clandestins qui tentaient d’atteindre une plage de Ceuta à la nage, le 6 février 2014  : quinze noyés. Si l’opération Mare Nostrum, lancée après le drame de Lampedusa d’octobre 2013, coûtait neuf millions d’euros par mois à l’Italie et que l’opération Triton, gérée par l’UE, n’en coûte que trois, c’est parce que l’agence Frontex n’a pas vocation à sauver des vies, mais à surveiller et à refouler, ainsi qu’à sous-traiter son rôle de Cerbère aux pays de départ. Ces transferts de compétence sont responsables de la tragédie du dimanche 19 avril 2015 et les pleurs officiels tentent de voiler cette sourde évidence.

A relire : Boat people : Une vigie sur la Méditerranée


1 On peut toujours lire l’ouvrage de nos amis Mahmoud Traoré et Bruno Le Dantec, Dem ak xabaar, Partir et raconter – Récit d’un clandestin en route vers l’Europe, éditions Lignes, 2012.

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