Lutte de classe

Quand ATTAC censure les profs

Mardi 6 mai, faculté Saint-Charles, à Marseille. Des personnels de l’Éducation nationale terminent une assemblée générale, au sortir d’une manifestation qui a rassemblé 25 000 personnes. L’assemblée appelle à la grève reconductible - après maintes discussions pour savoir si elle devait être de surcroît « générale » et « illimitée ». Un délégué du SNES annonce que son syndicat ne prendra pas part au vote, car « il n’y a ici que 3OO personnes, cette assemblée n’est pas représentative ». Petite anecdote illustrant les relations houleuses entre la « coordination des établissements en lutte » et les syndicats, en ce printemps 2003.

Quand, au mois de mars, le mouvement de grève dans l’éducation prend une ampleur nationale, des coordinations d’établissements en lutte se créent dans les départements les plus mobilisés. Un peu partout, des gens se démènent pour organiser actions et manifestations, assemblées générales, réunions avec les parents d’élèves, diffusion d’informations… Certains ont arrêté le travail depuis plusieurs semaines, peinent à mobiliser leurs collègues de travail et subissent des pressions de leur hiérarchie, le tout dans un « black out » édifiant des médias, qui n’évoquent l’Éducation nationale que pour se passionner pour les questions de port du voile.

Syndiqués ou non, les membres de la coordination découvrent (ou redécouvrent) les difficultés d’un parcours autonome par rapport aux instances syndicales en place. Si certaines organisations comme SUD ou la CNT accompagnent très tôt le mouvement, les « gros » syndicats goûtent peu les phénomènes de contestation hors de contrôle, qui élaborent leurs mots d’ordre au fil des AG. Les grévistes s’exaspèrent de leur inertie, du freinage du mouvement, et des tentatives d’éviction de la coordination lors des manifestations. Les logiques d’appareil heurtent de front le fonctionnement collectif des assemblées. Au sein-même des sections locales, à la CGT notamment, les empoignades vont bon train face à la tiédeur et à l’immobilisme des directives nationales. Les mouvements sociaux sont de puissants révélateurs des institutions. Dès le 15 mai, la CFDT rejouera la même musique collaborationniste qu’en 1995…

La tenue du « Forum social départemental » à Marseille, les 2 et 3 mai, était perçu par la coordination comme une occasion de déchirer le « voile » médiatique et donner au mouvement une expression publique. Le Forum social, qui se présentait comme « un espace ouvert de rencontres et d’échanges », pour « permettre la convergence des mouvements sociaux [et] citoyens du département » par « la confrontation et le débat démocratique », semblait effectivement le lieu tout indiqué pour une prise de parole par ceux qui, à ce moment même, se battaient contre la « régression sociale » dénoncée dans la brochure éditée par les organisateurs. Un membre de la coordination contacte donc un représentant de la FSU (fédération syndicale majoritaire dans l’enseignement), qui coorganise le Forum avec ATTAC. Leur échange de courrier électronique va tourner court :

 « Des enseignants grévistes […] (regroupant des syndiqués et des non-syndiqués) demandent expressément qu’on leur donne l’occasion d’intervenir au forum social 13.[…] ils ne demandent pas une intervention purement symbolique de 5 minutes, […] mais une vrai prise de parole […] au même titre que n’importe quelle « institution » dite « représentative » (parfois à tort) des luttes en cours. […]

 Forum social : « Parce que vous respectez pas ce qu’on nomme la Netiquette. […]

 Parce que vos interventions sont perçues comme des attaques à l’encontre de tous ceux qui se sont investis depuis des mois pour ce forum social.

 Parce qu’au lieu de construire, vous démolissez. Je comprends même pas comment vous pouvez espèrer que l’on vous donne une tribune au Forum avec ce type de comportement. »

Conclusion du membre de la coordination : « ATTAC choisit de laisser le monopole de la parole sur le mouvement enseignant au SNU et censure la coordination, qui a pourtant fait le gros du boulot. La vérité […] est que la FSU a peur de cette parole des profs qui s’organisent en dehors d’elle. » De la difficulté de se faire une place entre le marteau et l’enclume…

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Paru dans CQFD n°2 (juin 2003)
Par Marc Pantanella
Mis en ligne le 05.06.2003