Justice clémente pour les contis

« On n’est pas des faibles ! »

Pour changer, il pleut sur la Picardie. Une centaine de personnes piétinent dans l’attente du verdict de la cour d’appel d’Amiens. Six ouvriers de Continental, accusés d’avoir saccagé la sous-préfecture de Compiègne, sont là pour que justice soit rendue. Sans baisser la tête.
par LL de Mars

LE 21 AVRIL 2009, après le rejet par le tribunal de Sarreguemines de leur demande d’annulation du plan social, les 1 120 ouvriers de l’usine Continental de Clairoix se retrouvent sur la paille. Ils avaient pourtant accepté, un an plus tôt, de repasser aux 40 heures pour garantir leurs emplois et permettre à la boîte de générer un bénéfice annuel de 17 millions d’euros. Furieux d’avoir été roulés, une partie d’entre eux gagnent la sous-préfecture. Devant le refus du haut fonctionnaire de les recevoir, la colère monte et quelques fournitures de bureau et autres écrans plats volent par les fenêtres. Ce coup de force leur permet d’être enfin entendus et de négocier des conditions décentes de licenciement. 50 000 euros d’indemnités de départ et deux années de congés formation pour chaque gus. Soit sept années peinardes pour ceux qui ne voudraient pas rempiler tout de suite. Une belle victoire pour les Contis,mais la loi ne tarde pas à prendre sa revanche. En septembre 2009, le tribunal de Compiègne condamne six d’entre eux à des peines de prison avec sursis et de lourdes amendes. Face à une condamnation qui repose sur une piètre vidéo offerte aux magistrats par un journaliste de TF1, les Contis décident de faire appel. Ce vendredi 5 février 2010, mines tendues, muets, les prévenus entrent dans le palais de justice. De l’autre côté des grilles, des ouvriers gueulent leur soutien. Avant même l’annonce du verdict, ils seront repoussés par les gendarmes mobiles généreusement déployés. Après le portique de sécurité et la palpation matinale, un des inculpés regarde par la fenêtre et voit les copains aux prises avec la flicaille : « Si seulement on était plus nombreux, on les renverrait vite au poulailler. » Autour de lui, les porte-paroles de la cause prolétaire se sont levés tôt pour ne pas rater la photo. Mais on ne distingue pas l’ombre d’un ponte de la CGT. Pas la moindre coupe au bol à l’horizon.

« Les condamnations pénales et financières prononcées contre ces six salariés par le tribunal de Compiègne sont un acte de vengeance contre la lutte victorieuse des 1 120 travailleurs de Continental Clairoix, enrageait Didier Bernard, un des piliers du comité de lutte, après l’audience du 13 janvier. C’est une condamnation pour l’exemple qui s’adresse à l’ensemble des travailleurs du pays, destinée à faire régner un climat de peur parmi tous ceux qui refuseraient l’arbitraire patronal et gouvernemental. » La pressante demande d’une sanction exemplaire par Alliot-Marie ne dit pas autre chose. Il ne faudrait pas qu’une justice trop clémente donne des idées aux autres boîtes en lutte. Pourtant, cette fois-ci, la cour d’Amiens ne lui donnera pas raison. Les peines de prison avec sursis sont écartées et les six de l’usine Clairoix écopent finalement de « simples » amendes. 4 000 euros pour Xavier Mathieu, le leader des Contis devenu célèbre pour avoir taxé Bernard Thibault de « racaille ». 2 000 euros pour ses cinq camarades. Ils n’en espéraient pas tant. Xavier Mathieu en perd son allure gaillarde et fond en larmes dans les bras de Me Marie-Laure Dufresne-Castets, l’avocate des Contis. « Putain, je m’attendais pas à ça ! », lâche-t-il en relevant la tête. À la sortie, après les photographes, c’est au tour des pétards de sonner la victoire : bisons,mammouths, tigres et autres clameurs accueillent les six rescapés. « C’était un bras de fer entre l’État et les travailleurs de Conti, mais aussi de la France entière, et le fait que la prison saute, qu’il n’y ait pas d’inscription au casier ni de TIG [1], c’est une victoire pour nous », lâche Christian, du comité de lutte. Pour Franck, un des six inculpés, ce verdict est « presque une relaxe ».

Xavier Mathieu, qui a retrouvé sa gouaille, prend le mégaphone : « La vraie victoire aujourd’hui c’est de voir que quand on se bat, on peut gagner ! Le seul hic, c’est qu’on va peut-être se quitter, les Contis. Mais les gars, je vous préviens, on garde nos vestes. En 2010, il va falloir continuer à se battre. On n’a pas baissé la tête jusque-là, on va pas commencer maintenant. Il va falloir soutenir les autres boîtes qui luttent encore. Goodyear à Amiens, Total, et les autres. » Et pour un Conti, transmettre son expérience aux autres castagnes, ce n’est pas rien. Organisés en comité de lutte, balayant les délégations syndicales par des prises de décision en assemblée générale, ces gars-là ont de bonnes combines de démocratie directe à refiler aux copains. Et c’est peut-être parce qu’il a compris que pendant la lutte sa voix valait autant que celle des 1119 autres que Xavier Mathieu, renégat de la CGT, peut clore la journée avec panache : « Il faut arrêter que les usines aillent se battre les unes à la suite des autres, le privé d’un côté, le public de l’autre, il faut y aller et tous ensemble ! On n’est pas des faibles. Tous ensemble on est bien plus puissants que n’importe quelle armée ! »

par LL de Mars
Facebook  Twitter  Mastodon  Email   Imprimer
Écrire un commentaire
modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Paru dans CQFD n°75 (février 2010)
Illustré par L.L. de Mars

Mis en ligne le 19.03.2010