Darmanin porte quoi ?

Maintien de l’ordre : reculer pour mieux reculer

La clique de la place Beauvau vient de sortir son dernier tube, intitulé « Schéma national du maintien de l’ordre », version 2020. Une production qui fera date, tant elle grave dans le marbre les récents errements en la matière.

Il affiche un drôle de petit sourire vicelard, Gérald Darmanin, sur la photo en médaillon qui surplombe l’édito du nouveau « Schéma national du maintien de l’ordre » (SNMO) rendu public le 17 septembre dernier. Comme s’il savait déjà que le contenu de cette publication du ministère de l’Intérieur allait scandaliser et qu’il s’en battait royalement la rate. Le type fier de son bras d’honneur, balancé à la face de tous ceux qui ont tenté d’infléchir la dérive répressive des forces de l’ordre.

Il y a pourtant eu des naïfs pour croire que les quelques paroles « apaisantes » de l’exécutif en janvier 2020 sur la brûlante question des violences policières étaient autre chose que de la poudre aux yeux. Aux manettes du peuple képi, c’était alors l’embarrassant Christophe Castaner et il semblait dire que, peut-être, sait-on jamais, dans l’optique d’un nouveau plan d’organisation du maintien de l’ordre, certaines choses étaient à revoir. Son bras droit, Laurent Nuñez, expliquait devant le Sénat organiser des réunions avec « des experts de tous les pays, des magistrats ou des organisations aussi importantes que la Ligue des droits de l’Homme ou Amnesty International qui travaillent avec nous ». Ils auraient tous mieux fait de se taper une petite belote des familles. Car, de remise en cause du désastre policier, il n’est absolument pas question dans le frais SNMO.

Long de 29 pages, entrecoupé de clichés mettant en scène des flics sympas comme tout – mention spéciale à cette photo de CRS secourant une jeune fille perdue en pointant un doigt coqué sur son plan de métro –, ledit texte contient en effet des éléments révélateurs du blanc- seing accordé aux bandes organisées garantes de l’ordre public. Nommé en mars 2019, le sympathique préfet Lallement, que le monde nous envie, avait déjà entériné cette volonté d’y aller franco de porc, notamment via la création des BRAV (Brigades de répression de l’action violente), groupes motorisés ayant pour consigne d’aller au contact et de semer la terreur dans les cortèges. Le SNMO s’inscrit dans cette (extrême) droite ligne.

Trois axes principaux à ce pensum liberticide. En langage policier :

 1. Chef, comment qu’on tape ?
 2. Chef, comment qu’on cache nos violences ?
 3. Chef, comment qu’on se vend comme de parfaits chevaliers blancs ?

Le premier axe n’est pas le plus développé. On y croise la confirmation de l’usage débridé des armes dites non-lé tales (notamment les lanceurs de balles de défense qui ont mutilé tant et plus ces dernières années), l’annonce d’introduction d’armes « moins vulnérantes » (on y croit...) et la mise en avant des BRAV, encensées pour leur « mobilité et capacité d’interpellation ». Avec cette obsession, annoncée dès l’édito : contrecarrer « l’infiltration [...]des casseurs au sein des cortèges ». Bref, toujours plus de charges gratuites et de dispersions violentes.

Mais c’est au volet « information » que le nouveau schéma consacre le plus de pages, l’image apparaissant plus que jamais comme le nerf de cette guerre. Pour contrecarrer la (relative) médiatisation des violences policières, il préconise de couper le mal à sa source : les collecteurs de vidéos ou de clichés. Dans ce modèle, un « officier référent » se voit chargé de prendre sous son aile « les journalistes, titulaires d’une carte de presse, accrédités auprès des autorités ». En filigrane : exit les pigistes indépendants, les glaneurs d’image de première ligne, les gueux dans notre genre (à CQFD, personne n’a de carte de presse). Et pour ceux qui sont considérés comme « légitimes », le recours à une procédure d’accréditation fort nébuleuse. Autre joyeuseté : l’annonce que lors de la dispersion d’un attroupement, les médias et observateurs devront « se positionner en dehors des manifestants appelés à se disperser ». S’ils ne le font pas, eh bien, qu’ils ne viennent pas se plaindre d’être pris pour cible... Autant pour ceux qui voudraient documenter les violences. Certes, cela correspond déjà à la réalité du terrain ces derniers temps, mais le voir écrit noir sur blanc n’a rien d’anodin. Et les dénégations tardives du sinistre de l’Intérieur parlant de « malentendu » face au tollé suscité par le texte n’ont pas vraiment rassuré les tenants d’une information libre.

Corollaire logique de cette volonté de maîtriser l’image, l’objectif affiché d’une « communication externe dynamique, destinée à expliquer l’action de l’État ». Pour ça, quoi de mieux que « l’embarquement de journalistes au plus près des forces [de l’ordre] » ? Embedded avec les CRS, le plumitif moyen saura sans nul doute tempérer ses ardeurs critiques. Et si cela ne suffit pas, la police se targue de devenir agence de presse, avec l’idée de se doter « de matériels et d’équipes permettant de réaliser ces prises de vues ». Pour des reportages parfaitement impartiaux, bien évidemment.

Émilien Bernard
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