L’histoire d’une assimilation forcée

Le trop discret scandale des « homes indiens » de Guyane

Pendant des décennies, des enfants amérindiens de Guyane ont été envoyés dans des pensionnats catholiques pour être convertis aux mœurs et croyances occidentales. Pour la première fois, un livre fait le récit de cette douloureuse acculturation.

En visite au Canada l’été dernier, le pape François a demandé «  pardon  » pour le rôle joué par l’Église catholique dans le système criminel des pensionnats autochtones, dont quelque 150 000 enfants ont fait les frais dans ce pays entre la fin du xixe siècle et les années 1990. « Nombre d’entre eux ont subi des abus physiques ou sexuels, et des milliers n’en sont jamais revenus, victimes de maladie, de malnutrition ou de négligence », résumait l’AFP dans une dépêche annonçant que le souverain pontife reconnaissait qu’il s’agissait là d’un «  génocide  ».

C’est beaucoup moins connu, mais en Guyane aussi, des enfants amérindiens (ou bushinengués 1) ont été contraints de quitter leur village pour rejoindre des pensionnats tenus par des religieux catholiques. Entamée dans les années 1930, cette histoire n’est pas complètement finie. Aujourd’hui encore, à Saint-Georges de l’Oyapock, des collégiens vivent chez les sœurs, dans le dernier « home indien » toujours en activité. Le dimanche, ils sont obligés d’aller à la messe.

« Claques, coups de pied, coups de bâton… »

Jusqu’ici, personne n’avait pris la peine de raconter l’histoire de ces pensionnats guyanais. Pendant plusieurs années, la journaliste Hélène Ferrarini a enquêté, fouillé les archives des congrégations et rencontré 39 anciens pensionnaires. Elle en a tiré un solide ouvrage paru en septembre, Allons enfants de la Guyane (Anacharsis).

« Les homes indiens vident les villages autochtones de leurs enfants, affaiblissent le lien parents-enfants, entraînent un appauvrissement des langues autochtones et des sentiments de honte, de malaise, de gêne chez les anciens pensionnaires. »

Sous-titré « Éduquer, évangéliser, coloniser les Amérindiens dans la République », ce livre démontre que si le système guyanais ne s’est pas révélé aussi monstrueux que son homologue canadien (l’autrice n’a trouvé trace « que » de deux morts et, à ce jour, aucun témoignage d’abus sexuel), il n’en a pas moins été une gigantesque usine à traumatismes. « Le panel des punitions infligées aux enfants est varié, écrit notamment Hélène Ferrarini. Les anciens pensionnaires mentionnent des corvées ménagères, la privation de nourriture, l’enfermement, l’obligation de rester agenouillé pendant des heures, les coups… Claques, coups de pied, coups de bâtons, coups de lanière en cuir ou de ceinturon. » Et puis, il y a l’interdiction de parler sa langue maternelle, l’impossibilité d’aller pêcher ou chasser avec ses parents, d’avoir le temps d’apprendre sa propre culture et non celle des colons blancs.

Au final, l’autrice voit dans les homes indiens de Guyane « une histoire assez proche » de celle des pensionnats autochtones du Canada. D’abord, les deux systèmes « reposent sur la pression des forces de l’ordre ». Ils « s’appuient sur l’omniprésence de la religion chrétienne, sous couvert de scolarisation et avec l’aval des autorités publiques, et ils recourent à des méthodes éducatives autoritaires. Ils vident les villages autochtones de leurs enfants, affaiblissent le lien parents-enfants, entraînent un appauvrissement des langues autochtones et des sentiments de honte, de malaise, de gêne chez les anciens pensionnaires.  »

Retourner les armes du colonisateur

Mais cette histoire n’est pas celle d’une défaite totale. Car c’est bien d’une génération scolarisée dans les homes qu’a émergé dans les années 1980 le mouvement politique autochtone de Guyane 2.

Aux yeux du militant kali’na Alexis Tiouka, qui signe la préface de l’ouvrage, l’enseignement reçu dans ces établissements a fourni aux autochtones de nouveaux moyens de « résister à l’assimilation  » en leur donnant accès aux « codes du système dominant ». À la fois poison et antidote, cet enseignement a été la cause d’un déracinement profond, mais il a aussi permis à ses cibles « d’acquérir les outils et les armes du colonisateur pour mieux les lui retourner  ». Alexis Tiouka en est un exemple parlant : à la sortie du home, il a suivi des études qui lui ont permis, en tant que juriste, d’aller jusqu’à l’Onu plaider la cause des peuples autochtones. « D’un côté, soupèse-t-il, un appauvrissement culturel ; de l’autre, la maîtrise d’outils de résistance. Le passage par le home nous a renforcés dans notre fierté kali’na et a fait de nous des militants. » La lutte continue.

Clair Rivière


1 Descendants d’esclaves « marrons » ayant fui les plantations du Suriname voisin il y a plusieurs siècles.

2 Lire à ce sujet« En Guyane, un éveil politique amérindien », CQFD n°162 (février 2018).

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CQFD n°214 (novembre 2022)

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