Collectivisme potager

Le jardinage n’est pas qu’une occupation de retraité. C’est aussi le moyen de garnir son garde-manger à peu de frais. Et si on bêche à plusieurs, c’est terminé avant même de se faire des ampoules.

Courbés sous un pâle soleil de mai, nous traquions les doryphores plan par plan. Une vraie saloperie, ces bestioles : les plus grosses sont faciles à choper, mais les petites se planquent sous les feuilles et vous claquent entre les doigts. Pour faciliter la tâche, nous devions les mettre précautionneusement dans des bouteilles en plastique, afin d’en faire un purin que d’autres épandront sur ces pieds de pomme de terre. Il paraît que l’odeur des cadavres fermentés de leurs congénères fait fuir les jeunes générations…

Camille, du haut de ses deux ans, préférait décimer les rangs de son épée en noisetier. Elle se rétama la couche dans les oignons, au grand désespoir de sa mère, qui s’en fut la balader jusqu’au bas du jardin, où le blé était encore sur pied. « Nous l’avons moissonné depuis, confie Ben, mais il était charbonné, et nous n’avons pu le garder. » « Nous », ce sont les vingt personnes qui, dans un coin du Tarn Nord, ont fait de ce petit hectare leur jardin collectif. « On a commencé à l’automne 2004. Nous nous sommes regroupés pour cultiver des patates, de l’ail… », explique-t-il. Car jardiner à plusieurs, c’est moins dur et c’est plus rigolo, surtout si on choisit « des cultures qui poussent facilement et qui demandent le moins de temps possible. » Il précise : « On bosse tous… Enfin, on a tous beaucoup d’activités par ailleurs ! » Entre la préparation du champ, les plantations et l’entretien, ils ne s’y échinent pas plus d’une quinzaine de jours par an. Les réunions apéros-bouffes pour prendre les décisions stratégiques ne sont bien sûr pas comptabilisées…

« Au début, chaque foyer devait fournir la même quantité de travail, que nous évaluions au pifomètre, puis recevait une part des récoltes. Mais on a arrêté : les foyers peuvent évoluer, se recomposer, et alors il faut tout recalculer ! Et puis un célibataire obtenait autant qu’une famille. Maintenant, on divise par le nombre d’individus impliqués, c’est plus simple. » Et que récupère-t-on dans son petit panier, en sus des après-midi vivifiantes avec les collègues ? « Cette année, c’est revenu à trente-cinq euros par personne, et chacun a récupéré un cageot d’ail, une vingtaine d’oignons et trente-cinq kilos de patates. Point de blé à cause de ce foutu charbon, mais l’année précédente, nous avions engrangé cent kilos par tête. » Que chacun utilise comme il le souhaite : qui pour nourrir ses poules, qui pour le pain et les gâteaux.

Ben trouve moult avantages à mettre la main à la terre : « Premièrement, je n’ai pas de terrain, cela me permet donc d’avoir un jardin. Ensuite, ça permet de faire des économies sur la bouffe, et puis surtout de savoir ce que je mange. » La gamine ne jouerait sûrement pas à Fanfan la Tulipe au milieu de légumes gavés de produits phytosanitaires. « Mais on ne fait pas spécialement du bio, on n’a pas de cahier des charges ! On utilise parfois des semences classiques, selon les opportunités. Mais par contre, on ne traite pas », précise-t-il. Pour éviter le retour des bestioles, ils vont mettre en pratique quelques techniques culturales bien connues : « Le blé, nous allons le semer ailleurs. De même que pour éviter les doryphores, les pommes de terre vont changer de place. Et puis nous allons alterner chaque pied avec du lin, il paraît que ça les éloigne. » Du lin ! Alléluia !

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Paru dans CQFD n°40 (décembre 2006)
Dans la rubrique Ma cabane pas au Canada

Par François Maliet
Mis en ligne le 07.02.2007