Travailleurs, travailleuses…

C’est vrai, 8 mars ou pas, je ne parle pas souvent des femmes de mon usine. C’est aussi vrai que, lorsqu’on travaille à la fabrication, on en côtoie très peu : juste les femmes de ménage qui arrivent encore plus tôt que nous au turbin, l’infirmière et les serveuses de la cantine. Les seuls endroits où le travail est plus « spécifiquement » féminin, c’est l’administration, la comptabilité, l’accueil des chauffeurs routiers et le labo. A l’autre bout de la chaîne hiérarchique, depuis quelques années, l’encadrement s’est légèrement féminisé, mais pas n’importe où. Pas aux postes stratégiques que se gardent nos cadres-machos. On retrouve des femmes aux ressources humaines, à l’environnement et à la sécurité… Évidemment ?

Il y a près d’une vingtaine d’années, deux jeunes femmes ont été embauchées au sein du secteur informatique. Il se trouve qu’elles étaient syndicalistes, situées à l’extrême gauche, et combatives. On peut dire qu’elles ont fait évoluer les mentalités des prolos de la boîte en ne se laissant pas marcher sur les pieds par le patron. Du coup, elles n’ont pas eu de mal à se faire une place et à être vraiment reconnues par les collègues. Elles n’ont pas eu besoin non plus de ferrailler longtemps pour que les calendriers et autres photos de filles à poil disparaissent des réfectoires et des ateliers.

Par Efix.

Aujourd’hui, l’une d’elles est partie et travaille dans les risques technologiques, « pour emmerder encore plus les patrons » et l’autre est toujours présente sur le site où elle s’investit énormément dans le Comité hygiène et sécurité, au grand désespoir de nos différentes directions, car quand elle s’occupe d’un dossier (amiante, risques explosifs, rythmes de travail…) elle ne le lâche pas. Mais c’est d’une autre dont il va être question.

Odette a été embauchée, il y a quatre ans, quand une loi sur l’égalité au travail a stipulé que les femmes pouvaient travailler la nuit et postuler à tous les travaux dits masculins. Cela fit d’ailleurs s’enorgueillir la DRH : avoir embauché, une femme, jeune, black et issue d’un quartier difficile… elle faisait dans le social et le féminisme à la fois. Ce fut, semble-t-il, la seule qui se présenta pour un poste en fabrication, car depuis, pas une femme n’a pris sa suite. Certains vieux militants de la CGT dirent que ce n’était pas une bonne chose car travailler de nuit ou les week-ends n’est pas franchement libérateur, mais si c’était au nom de l’égalité, ils ne pouvaient se prononcer contre.

Odette fut postée dans mon atelier, réputé plus « propre » et plus « civilisé », le personnel y étant un peu plus qualifié. Mais accepter une femme dans une équipe ne fut pas si simple. Certains vieux ours n’avaient définitivement pas envie de travailler avec une « gamine ». Pourtant, dans l’équipe où elle atterrit, ce furent les mecs qui changèrent un peu : certains arrêtèrent de péter ou roter en public et surtout chacun châtia son langage, il n’était plus question de traiter l’autre de gonzesse ou d’en avoir plein les couilles.

Mais, si elle faisait correctement son boulot, elle a eu du mal à s’intégrer. Odette se sentait forcément seule dans cet univers viril. Ses collègues masculins, par galanterie ou se voulant protecteurs, l’accompagnaient souvent sur le terrain pour l’aider à fermer une vanne trop rouillée ou ramasser du matériel jugé trop lourd pour une femme. Ce ne fut pas du goût de son chef d’équipe qui la trouvait insuffisamment autonome et qui voyait en elle un poids pour l’équipe.

N’arrivant pas à se faire une place, mais aussi parce qu’il y a trop de fuites et de risques dans l’atelier, Odette vient de démissionner. Elle a trouvé un boulot dans un laboratoire de l’industrie pharmaceutique. Un univers un peu plus féminin.

En partant, elle m’a confié qu’elle voulait amasser de l’expérience dans l’industrie (et si possible de l’argent) pour retourner dans son pays afin d’y construire et gérer une station d’épuration d’eau. Chacun ses rêves…

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