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Tiens, v’là Varlin !

Tampon à l’effigie de Varlin par le tampographe Sardon, d’après une gravure de Félix Valloton.

Les vénérables éditions Spartacus ont eu l’heureuse idée de publier Eugène Varlin, internationaliste et communard de Michel Cordillot, réédition revue et augmentée d’Eugène Varlin, Chronique d’un espoir assassiné, paru en 1991 aux Éditions ouvrières. Michel Cordillot, historien, spécialiste du socialisme utopique et de la première Internationale, dresse le parcours éclair de Varlin, qui demeure, selon la formule consacrée, « une des figures les plus attachantes du mouvement ouvrier ».

Le propos n’est pas tant de faire l’hagiographie de ce véritable « saint-laïc » foudroyé dans sa 33e année. Varlin vivra sa montée au Golgotha, ici la butte Montmartre, où il est fusillé par l’armée versaillaise le dernier jour de la Semaine sanglante. Un des nombreux mérites de ce livre est de replacer l’action militante du jeune Varlin, sans en gommer les indéniables qualités, dans la période déterminante des années 1860-1871, moment d’organisation du mouvement ouvrier français et européen – dont l’Association internationale des travailleurs (AIT) est la caisse de résonance – qui verra ces premiers espoirs d’émancipation fracassés par la terrible répression de la Commune.

« Monsieur le commissaire, je vous le signale particulièrement, c’est l’un des plus dangereux. »

Ouvrier relieur, autodidacte à l’insatiable soif d’apprendre, membre de la section parisienne de l’Internationale, Varlin n’est pas un de ces révolutionnaires tapageurs que l’on rencontre à la même époque au Quartier latin. D’apparence calme et discrète, apprécié des ouvriers et ouvrières qui le côtoient, il fait partie des infatigables artisans du projet collectiviste. Cela lui vaut d’être repéré lors d’une réunion par un argousin, qui consigne dans son rapport : « Monsieur le commissaire, je vous le signale particulièrement, c’est l’un des plus dangereux. »

De sa vie dite privée, on sait surtout qu’elle ne pouvait constituer qu’une part congrue, dans une existence dévolue à l’activité révolutionnaire. On raconte qu’il vivait dans une communauté dont il était le fondateur et « l’apôtre », composée de « six mâles et d’une présidente », rue Taranne, où « chaque soir un associé différent vient prendre place aux côtés de la présidente » dans un grand lit… « Adversaire déclaré du mariage », on lui connaît de grandes amitiés féminines parmi les ouvrières relieuses, qui constituaient, selon les ragots machistes, « un véritable escadron d’amazones qui vivent littéralement de sa parole » – parmi lesquelles Nathalie Le Mel et une certaine Mlle Ligot, qui aurait été sa dernière compagne. D’ailleurs, Varlin est seul à défendre les vues féministes lors du Congrès de l’AIT à Genève en 1866 face aux opinions misogynes des proudhoniens français : « Que le travail soit fait par un homme, qu’il soit fait par une femme : même produit, même salaire. Par ce moyen la femme ne fera pas baisser le salaire de l’homme et son travail la fera libre. » Une évidence, hélas, non suivie d’effets dans la mise en place d’une politique égalitaire au sein de l’AIT.

Influencé par les idées fouriéristes, partisan de la « voie coopératiste » – il est l’un des fondateurs des restaurants ouvriers « La Marmite » –, relais actif et pragmatique des grèves dans plusieurs pays, intime de l’alliance secrète de Bakounine (avec quelques distances semble-t-il), Varlin résiste aux classifications réductrices. S’il se dit « communiste anti-autoritaire », il conçoit la représentation ouvrière aux élections, mais plus encore la démocratie directe et l’auto-organisation via les sociétés ouvrières et les syndicats qu’il voit en « écoles du socialisme ». Comme le montre avec brio Michel Cordillot : « Ni “marxiste”, ni “bakouniniste”, Varlin est avant tout l’incarnation du mouvement ouvrier parisien. » C’est sans doute grâce à son ouverture d’esprit et à son sens des utopies concrètes qu’Eugène Varlin reste aujourd’hui encore une excellente fréquentation.

Mathieu Léonard

Michel Cordillot, Eugène Varlin, internationaliste et communard, éditions Spartacus, 2016.

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