Repenser la vieillesse

Sois vieille et ouvre-la

Plus que les hommes, les femmes ont peur de vieillir. Sitôt leurs jeunes années passées, leur corps est déconsidéré et elles se retrouvent souvent exclues du « marché » de la séduction. Pourquoi ? Vieillissement et ménopause sont longtemps restés des impensés du féminisme. Mais quelques collectifs commencent à s’emparer du sujet.
Photo Ménopause Rebelle

Une ride qui apparaît et qui fait honte ; la peur d’avorter parce qu’on ne tombera peut-être plus jamais enceinte ; cette foutue « horloge biologique » : bien plus tôt que les hommes, les femmes sont violemment confrontées au vieillissement de leur corps. « J’ai découvert mon premier cheveu blanc à 35 ans, se rappelle Nadia*. J’ai pensé qu’il fallait pas trop tarder avec l’horloge biologique et je me suis dit : ça y est, c’est le début de la fin. » Sophie renchérit : « On est éduquées pour être visibles, séduisantes, douces, jolies. Et à un moment donné, on te dit que tout ça, c’est fini. Mais qu’est ce qu’on fait après ? »

La société porte un regard méprisant sur le corps vieillissant ; davantage encore sur celui de la femme. Passée la ménopause, leur féminité et leur sexualité semblent moins légitimes. Pourtant, tout le monde n’aspire pas à finir en mamie-gâteau qui fait des pots de confiture. On peut même se sentir plus énergique, désirable et assurée qu’avant  : « J’ai mis tellement de décennies à prendre conscience de ma féminité, à l’assumer, que je suis mieux à 65 ans qu’à 25 ans, témoigne Fanny. Ça, je l’ai acquis en vieillissant. »

Pas facile pourtant d’assumer un éventuel désir, surtout quand les hommes du même âge s’intéressent essentiellement à des femmes plus jeunes  : « Exclues du regard désirant masculin, certaines femmes s’excluent elles-mêmes du désir, remarque la sociologue Rose-Marie Lagrave 1. Le “ce n’est plus pour moi”, le “je suis délivrée de l’obligation de séduire”, le “il y a un âge pour chaque chose” [...], autant d’expressions qui disent la peur du désir. »

Pas égaux devant la vieillesse

Il y a là une profonde inégalité, car les hommes, même âgés, conservent leur place sur le « marché » sexuel : il est même tout à fait admis qu’ils séduisent des femmes beaucoup plus jeunes qu’eux. C’est que dans nos sociétés qui associent la féminité à la jeunesse, le préjugé persiste : les hommes vieilliraient mieux que les femmes. La militante et essayiste américaine Susan Sontag soulignait déjà cet état de fait en 1972, avec ce qu’elle appelait le « deux poids, deux mesures de l’avancée en âge2 ». Elle précisait : « En matière de séduction, deux modèles masculins coexistent, le “jeune homme” et l’“homme mûr”, contre un seul côté féminin : celui de la “ jeune femme . Le langage confirme : on parle facilement de « maturité », d’ » expérience » ou de « force de l’âge » pour désigner le vieillissement d’un homme, beaucoup moins pour celui d’une femme.

Alors que, comme le remarque la sociologue Juliette Rennes, « les traces sur le visage d’un homme sont plus compatibles avec l’image de la séduction3 », le corps d’une femme de 60 ans est totalement déconsidéré. Y compris par les femmes elles-mêmes, qui ont tendance à intérioriser cette honte. Sonia l’avoue : « Quand j’étais jeune, je pensais qu’être vieille était une faute de goût. » D’où une multitude de stratagèmes employés pour masquer les marques du corps qui change... D’ailleurs, dans cette course à « l’apparence de la jeunesse », toutes les femmes ne sont pas à égalité : crèmes anti-âge, chirurgie esthétique, teintures pour les cheveux et autres cosmétiques occasionnent des frais énormes pour des résultats souvent décevants.

Comment stopper cette fuite en avant ? Comment sortir du diktat de « la jeune femme » ? Afin d’aborder le vieillissement de façon plus sereine, il faudrait travailler sérieusement sur la honte de soi inculquée aux femmes depuis leur plus jeune âge – sentiment qui se manifeste plus fortement encore à partir de la ménopause.

Une étape à passer

La ménopause est une étape clé du vieillissement de la femme. Elle est souvent envisagée avec angoisse, car la façon dont on dépeint la femme dans cette phase de sa vie est toujours très négative : elle serait fatiguée, irritable, elle se plaindrait... Dans son livre La fabrique de la ménopause4, la sociologue Cécile Charlap écrit qu’il existe pourtant des sociétés dans lesquelles la ménopause est plutôt considérée positivement, par exemple comme le commencement d’une sexualité enfin libérée de la fertilité. Dans d’autres, il s’agit même d’un non-événement, à tel point qu’il n’existe pas de mot pour le désigner.

Dans la langue française, indique Cécile Charlap, c’est au XIXe siècle qu’a émergé le terme « ménopause » – du préfixe grec meno mentrues ») et du suffixe « pause » (« cessation »). Cette étape de la vie se retrouve ainsi décrite comme une déficience. « Elle n’est pas pensée comme une transformation, mais comme une involution », c’est-à-dire une régression, qui s’accompagne d’un champ lexical péjoratif : symptômes, dégénérescence, suées nocturnes, bouffées de chaleur, dépression, arrêt de la libido...

S’il est vrai que la ménopause n’est souvent guère agréable à vivre (« Je ressentais une fatigue énorme dans mon corps. C’était dur », se souvient Lisa), sa prise en charge médicale interroge. La ménopause étant basiquement considérée comme une carence en hormone, le corps médical cherche à pallier ce manque pour en masquer les effets. Cécile Charlap note que la prise d’hormones (œstrogènes et progestérone), une médication très répandue, a quelque chose de genré : son objectif est aussi de « performer une certaine féminité, car ce traitement va annuler certaines manifestations corporelles jugées déviantes (peau sèche, rides, prise de poids, bouffées de chaleur) ». Ce « remède » peut même provoquer des menstruations factices, donnant à la femme l’illusion que les choses sont comme avant.

Sous les cheveux gris, la rage

Globalement, le vieillissement reste un impensé du féminisme qui, depuis les années 1960, s’est surtout focalisé sur l’avortement, la contraception, la sexualité ou encore les violences faites aux femmes. C’est un peu « comme si le mouvement avait lutté pour choisir de faire naître, tout en laissant vieillir et mourir », interroge Rose-Marie Lagrave.

Dans l’Hexagone, les initiatives qui politisent le vieillissement en rapprochant âgisme5 et sexisme restent rares. Il y eut, à la fin des années 1980, la création de l’antenne française des Panthères grises6. Puis, en 1997, l’appel de Thérèse Clerc, Aux armes citoyennes, qui aboutit en 2012 à l’ouverture à Montreuil de la Maison des Babagayas. Une maison de retraite autogérée, fondée sur l’entraide et la solidarité entre ses membres – des femmes disposant d’une faible retraite (car mères au foyer ou travailleuses à temps partiel). « La vieillesse est faite pour être folle. Je suis seule, je suis libre, je vais où je veux, quand je veux », disait avec malice feue Thérèse Clerc, qui tenait à ce que la Maison des Babagayas soit un lieu de lutte contre les injonctions jeunistes et sexistes.

En 2016, huit femmes ont monté à Marseille le collectif « Ménopause rebelle ». Elles se retrouvent chaque mois, pour parler de la ménopause, partager leurs craintes, leurs doutes, leurs expériences, leurs « techniques » : « Quand j’avais une bouffée de chaleur, je m’imaginais sur une plage avec des palmiers, un gros soleil, ça m’aidait », raconte par exemple Maria. Ces rencontres leur permettent de dédramatiser certains sujets et de se donner de la force, ensemble. Leur approche de la question ? Elles la veulent intersectionnelle : l’idée est d’interroger un panel plus large d’oppressions et de discriminations subies. Il s’agit de revaloriser le corps vieillissant de la femme et de prôner un plaisir et un désir enfin libérés des normes patriarcales, hétérocentrés et capitalistes. Elles clament d’ailleurs avec force :

« Aimons-nous dans notre vieillesse : soyons vieilles, libres, folles, putes, hystériques, sorcières ! » Les « Ménopauses » mettent aussi un point d’honneur à rendre leur parole visible. Un peu partout dans les rues, elles disséminent tags et pochoirs, et travaillent actuellement à la conception d’une brochure sur la ménopause. L’idée est d’informer, de transmettre des savoirs et de laisser une trace à celles qui suivront : leur permettre d’anticiper certaines interrogations, parce que la ménopause, et plus globalement la vieillesse, sont à penser en amont, tout au long de la vie.

En Ariège, le collectif des « Fouffes qui peut » s’est aussi réuni sur la question du vieillissement et de la nécessité de se donner de la force collectivement pour briser ce tabou. Questionner et affronter ce qualificatif de « vieille », partager, aussi, des expériences sur la ménopause : les bouleversements et les désagréments qu’elle peut engendrer et la façon dont la médecine règle le « problème » en oubliant d’informer sur les effets secondaires. Les « Fouffes qui peut » essayent d’ailleurs de réfléchir à des traitements alternatifs.

Se libérer de l’injonction à rester jeune, assumer son désir après la ménopause, se réapproprier cette vieillesse tant redoutée est peut-être une des voix de l’émancipation féministe. « On n’est jamais comme il faut. À 20 ans, on est complexée, à 30 ans on se sent sur le déclin, à 60 ans on se sent trop vieille... », peste Nadia. Essayons de gagner du temps !

Cécile Kiefer

* Les témoignages sont issus de l’excellent documentaire sonore de Charlotte Bienaimé, Vieilles et alors ? (Un podcast à soi, épisode 14), disponible à l’écoute sur ArteRadio.com.


1 « Ré-enchanter la vieillesse », Mouvements n° 59 (2009).

2 « The double standard of aging », Susan Sontag, The Saturday Review (23/09/1972).

3 « Vieillir au féminin », Le Monde diplomatique, décembre 2016.

4 CNRS Éditions, 2019.

5 Discrimination liée à l’âge.

6 Fondées à Philadelphie en 1970, les Gray Panthers (référence aux Black Panthers) luttent pour les droits des femmes âgées.

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