Code ISPS

Ports de l’angoisse

Comment la parano s’est distillée sur les ports, devançant les marchands de solutions et le bizness du sécuritaire.
La Une du n°152 de CQFD, illustrée par Baptiste Alchourroun

Un jour, deux tours dégringolent. Ce 11 septembre 2001, New-York vacille. En milieu portuaire, les conséquences ne se font pas attendre. Très vite, les Américains imposent au reste du world des normes de sécurité concernant ports de commerce et des terminaux. Selon eux, ce sont les prochaines cibles d’attaques terroristes, leur vulnérabilité ne faisant pas de doute. Dans le même temps, ils agitent une menace de ne plus faire commerce avec les ports qui n’adopteraient pas des normes similaires à celles des aéroports hyperfliqués. Le code mondial pour la sûreté des bateaux et des ports, alias ISPS, International Ship & Port Facility Security est adopté dans la foulée, en décembre 2002.

Une vraie aubaine pour les marchands de clôtures, lesquels en fourguent des kilomètres, parfois de 3 mètres de haut. Autres bénéficiaires : les boîtes de vigiles (statiques ou en patrouille) et les vendeurs de portiques, badges, caméras haute définition, scanners à conteneurs, rayons X, tout le toutim. Le marché de la peur (prononcer « prévention ») booste le capitalisme. C’est ainsi que la détection des points potentiellement vulnérables engendre des investissements de protection qui évaluent aussitôt leur obsolescence, l’évolution de la menace et des réponses débouchant sur un suréquipement permanent.

Et les clients ne manquent pas : dès le départ, le Maritime safety committee dépendant de l’ONU recense 9 541 installations portuaires à protéger. Les US Cost guards dressent une liste noire et des ultimatums, font des inspections, mais monnayent leurs formations pour améliorer la sécurité des ports mauvais élèves. Les douanes américaines contrôlent d’autorité les systèmes informatiques de suivi et de contrôle par scanner des conteneurs. Des boîtes privées se ruent pour vendre audits et plans de management des risques, possibles, plausibles ou inimaginables, évidemment à réévaluer régulièrement.

Faute de précédents, l’inspiration se tourne vers les scripts sensationnalistes de films hollywoodiens imaginant le pire. Un vivier de scénarios catastrophe : hommes grenouilles plongeant sous des navires à quai, équipages infiltrés à bord par des djihadistes suréquipés, conteneur planquant une bombe « sale » (nucléaire, bactériologique...), collision volontaire entre navires, détournements pour faire péter un chimiquier, un gazier ou un super tanker bourré de pétrole. Fantasmes de bombes flottantes amarrées à quai et prêtes à faire des dégâts XXL, etc. Chaque nouvel audit apporte son lot d’élucubrations : ainsi de ce scénario où un commando kamikaze déboulant en vedette rapide bourrée d’explosif foncerait sur la coque d’un méthanier, troue les cuves et libère cent mille tonnes de gaz liquéfié à -163°C ; et hop, tout le port littéralement gelé.

Le risque de réputation des ports mal protégés est aussi intégré avec ses effets de trafic maritime zappant ces escales qui craignent. Avant de signer les contrats, le bizness a vite chiffré les risques économiques immédiats : en octobre 2002, une simulation d’attaques bactériologiques contre six ports américains, contraints de fermer sept à dix jours, évaluait les pertes à 58 milliards de dollars. Là réside le paradoxe : il faut contrôler sans pour autant ralentir les flux, toute immobilisation ou retard se chiffrant en milliers de dollars. Faudrait pas freiner la libre circulation des biens et des capitaux. Y compris des capitaux flottants.

Nicolas de La Casinière
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