Camionneur fou

On ne s’écrase pas

La seconde audience des écrasés du blocage de Vitrolles a eu lieu en juin, un an après les faits. Compte-rendu.

26 mai 2016, mouvement contre la loi Travail. À Vitrolles comme dans toute la France, des irréductibles tiennent le haut du pavé, bloquant un rond-point à la sortie d’une zone industrielle. Jusqu’à ce que le conducteur d’un camion, Ludovic Zachar, pète les plombs et force le barrage filtrant, fonçant sur la foule. Bilan : deux syndicalistes grièvement blessés – Nadia Chergui, 25 ans, et Abdelmajid Kalai, 44 ans. Et trois membres d’une même famille, les Wagner, qui s’en tirent avec de légères blessures.

Las, lors d’un premier procès surréaliste1, les victimes sont traînées dans la boue par une juge expéditive, bien décidée à renverser la vapeur pour incriminer la CGT. La présidente du tribunal de grande instance d’Aix n’hésite pas à parler d’une « foule folle et avinée » qui « prend la France en otage ». Et transforme le chauffard en victime : « [Le conducteur] a été pris à partie par une foule au comportement animal. » Au final, elle le relaxe. Scandale. Les victimes ont bien évidemment fait appel. C’est ce qui se joue ce 14 juin.

Ce matin, à Aix-en-Provence, les drapeaux CGT sont bien seuls devant le tribunal. Étrangement, le syndicat n’a que peu communiqué sur cette audience – pas d’appel public à soutien. Et les militants se refusent à parler à la presse. À l’intérieur, Abdelmajid Kalai attend sur son fauteuil roulant – il s’entretient avec Nadia. Leurs avocats parlent de « cauchemar absolu » et insistent sur l’inversion des rôles opérée lors du premier procès, quand la justice a tiré à boulets rouges sur ces « manifestants [qui] seraient des sauvages ». Rien de neuf, le thème est cher à la bourgeoisie depuis la Commune de Paris – le peuple ne serait pas vraiment humain. C’est vrai, le chauffeur a été rudement molesté. Mais après qu’il a foncé sur la foule. Cela change beaucoup de choses.

Après l’audience, Jérôme Wagner, le père de famille, apparaît aussi tremblant que les autres plaignants. Sa fille malvoyante n’est plus la même, explique-t-il : « Désormais, un simple sèche-cheveux l’effraye. » Quant à lui, il doute – comme toutes les victimes pas reconnues. Mais maintient sa version : « Cette histoire, c’est celle d’un gars qui pète les plombs et qui rentre dans le tas. » Les témoins ayant assisté à la scène ne disent pas autre chose. Tous racontent comment le chauffeur a refusé le tract qui lui était tendu, avant de crier « Je vais tous vous écraser ! » et d’appuyer sur le champignon.

Jérôme Wagner n’est pas syndicaliste. Ce funeste 26 juin, il était là par hasard. De passage. Mais maintenant qu’il a été confronté à la justice et à la police, il a compris qu’être syndicaliste était considéré comme une tare. « Lors de mon audition, j’ai entendu un policier déclarer qu’il s’agissait d’une réunion de petits cerveaux. Ça m’a choqué, presque autant que la relaxe du chauffeur. » Et de s’emporter un peu : « Beaucoup de gens semblent oublier que le routier a roulé volontairement sur des êtres humains. »

De son côté, Abdelmajid Kalai a les yeux fatigués. Le cœur lourd. En clinique, il a passé deux mois allongé et huit mois hospitalisé. Aujourd’hui, il se déplace en fauteuil. Tout ça pour avoir tendu un tract. Mais il tient malgré tout le coup. Lui est un syndicaliste de longue date : « J’ai commencé lors des grèves de 1995. On avait tout bloqué, on dormait sur place. » Depuis, il n’a jamais cessé de militer. Sans jamais boire une goutte d’alcool, par contre – Abdelmajid est musulman. Autant pour les sous-entendus de la présidente, évoquant une « foule avinée »...

Lors de cette audience en appel, l’avocat général se lève, cheveux blancs en avant. D’une voix faible et hésitante, il énonce : « Nous savons que le chauffeur a forcé le barrage. […] Je suis obligé de constater des voies de fait volontaires perpétrées avec une arme, causant des blessures conséquentes. » C’est déjà ça. En face, l’avocate du routier tente de défendre son client. Il insiste : « Il a subi des coups et un tir de Flash-Ball », avant d’embrouiller l’affaire en confondant les témoignages et de remercier « le formidable travail photographique de la police ».

Une plaidoirie emberlificotée qui ne convainc pas. La cour d’appel ordonne finalement un supplément d’informations, notamment pour entendre Abdelmajid Kalai – ce qui n’avait pas été fait jusqu’à présent, un comble. Le procès est donc renvoyé à mars 2018. La justice n’est pas toujours expéditive.

Christophe Goby

1 Bien résumé dans ce très bon papier mis en ligne le 22 décembre 2016 sur Basta, « Le stupéfiant procès du barrage de Vitrolles ».

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