Éducation nationale

On achève bien les expérimentations pédagogiques

À Aubervilliers, un projet de collège alternatif public avait fini par voir le jour après dix ans de travail collectif. Las : les pontes conservateurs de l’Éducation nationale ont décidé d’y mettre fin.

Début juin, la nouvelle est tombée comme un couperet : le rectorat de Créteil met fin au projet coopératif et polytechnique du collège public de secteur Gisèle-Halimi d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). Dix années de travail du collectif A2CPA (Association pour un collège coopératif et polytechnique à Aubervilliers) balayées par un courrier de quelques lignes. Finies les décisions prises collectivement en conseils (adultes, élèves, adultes et élèves), les co-enseignements, les tâches partagées par tou•tes, finies les activités libres du matin, les voyages scolaires d’intégration, le tutorat inter-élèves... Fini le projet d’une pédagogie polytechnique et émancipatrice.

La prise de fonctions à l’hiver 2018 du recteur Daniel Auverlot, sbire de Jean-Michel Blanquer, a coïncidé avec le début du travail de sape. À peine arrivé, et malgré le contrat signé avec la rectrice précédente qui réservait douze postes aux porteurs du projet, le recteur décide d’en supprimer quatre. « J’ai envie de dénoncer la duplicité de l’Éducation nationale, qui nous reçoit, nous écoute, discute avec nous, met en place un contrat signé officiellement… pour finalement ne pas le respecter », nous confie Élise (les prénoms ont été modifiés), une des initiatrices du projet.

La première rentrée, celle de septembre 2018, s’était faite avec une année de retard et dans des préfabriqués. Censée durer quelques mois, cette situation s’éternisera pendant un an. Impossible de mettre en place pleinement les activités prévues par le projet. En 2019, l’équipe rentre finalement dans ses nouveaux locaux. Mais l’année est agitée, entre grèves pour les retraites et épidémie de coronavirus. C’est d’ailleurs en plein milieu du confinement qu’on demande aux équipes de rédiger un bilan du projet sur un formulaire en ligne au nombre de caractères limité, en vue d’une évaluation – qui était pourtant censée avoir été repoussée à l’année suivante puisque l’ouverture du collège avait eu lieu avec un an de retard. « Ni les parents ni les élèves n’ont été consultés, s’indigne Célestin, alors que le lien avec les parents était une chose importante. Les gens qui ont porté le projet sont sidérés, c’est un coup de massue. » Dans la continuité de son refus d’assister aux conseils d’adultes, l’instance de décision réunissant tous les personnels qui font partie du projet, le principal refuse d’organiser une réunion plénière pour discuter de la situation, prétextant un manque de temps et la situation liée au Covid-19.

Les agentes d’entretien seront parmi les plus touchées par la restructuration. « Elles sont venues de manière volontaire, sur fiche de poste. Elles participent aux conseils d’adultes et aussi aux activités pédagogiques : ateliers du matin, voyages scolaires... et y sont très attachées, parce qu’elles sont venues exprès pour ce projet. Elles seront exclues de toute forme d’action éducative, car il n’y aura plus d’aménagement de service pour elles », explique Élise.

Les expériences d’autogestion et les pédagogies émancipatrices font peur à un ministre conservateur qui rêve de contrôle total des enseignements et s’enfonce chaque jour davantage un visage réactionnaire dans l’autoritarisme. D’après Élise, « ce genre de projet bouscule l’organisation pyramidale de l’Éducation nationale, qui a du mal à l’accepter ». Surtout quand ceux-ci ne se conforment pas à la ligne Blanquer d’un retour aux « fondamentaux » : « De manière indirecte, on nous avait dit début mars qu’on ne travaillait pas assez le disciplinaire », explique Célestin.

Quand il était directeur académique de Seine-Saint-Denis, Daniel Auverlot avait contribué à la mise en place de l’internat d’excellence de Sourdun (Seine-et-Marne), dont le principe est d’extraire les meilleurs élèves des quartiers populaires pour les mettre ensemble dans un cadre privilégié hors département. Un projet à l’opposé de celui du collège Halimi, qui visait au contraire à accueillir tous les élèves d’un secteur sans sélection.

La mise à mort du projet s’inscrit dans une dynamique plus globale : dans toute la France, des établissements publics proposant une pédagogie émancipatrice se voient menacés dans leur fonctionnement. L’heure est au retour aux fondamentaux, et Blanquer semble préférer financer les écoles privées de ses ami•es du réseau Espérance banlieues, proches des milieux cathos intégristes1, plutôt que proposer dans le cadre de l’enseignement public et gratuit une pédagogie alternative émancipatrice pour les élèves comme pour les adultes – loin de la sélection par l’argent pratiquée par exemple par les écoles privées Montessori.

En attendant, les personnels mobilisés ne lâchent pas l’affaire. Alors que les soutiens se manifestent de tous côtés, ils invitent à signer une pétition baptisée « Maintien du projet pédagogique novateur au collège Gisèle-Halimi d’Aubervilliers ». On peut la signer ici.

Loez
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Les échos du Chien rouge

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