Mais qu’est-ce qu’on va faire de... Stéphane Hessel

Spécialiste pendant trente ans de la coopération et du développement, et défenseur de relations plus justes avec les pays du Tiers-Monde, le petit père de l’indignation Stéphane Hessel s’est intéressé à l’Afrique tout au long de sa carrière. Mais, depuis son premier séjour au Congo en 1953, alors qu’il travaillait pour les Nations unies, jusqu’à ses voyages au Burkina Faso dans les années 1990, ses aventures africaines apparaissent comme une succession de déconvenues. Le mot « échec » revient d’ailleurs presque chaque fois qu’il est question du continent noir dans son autobiographie, Danse avec le Siècle (Seuil, 1997). Laquelle ressemble fort, du coup, à l’autoportrait d’un poisson rouge cherchant à faire rendre gorge à un banc de requins.

Or, de requins, la Françafrique en est peuplée. Et de tellement carnassiers qu’ils digèrent tout ce qui leur passe sous le nez. Le chapitre que Stéphane Hessel consacre à ses amitiés avec le président burkinabé Blaise Compaoré est à ce titre assez éloquent. Les deux hommes se sont rencontrés au début des années 1990, quand le président du Burkina Faso cherchait des alliés pour ripoliner l’image internationale de son régime.

Contacté par Jean Guion, lobbyiste français de Compaoré et président d’un nébuleux Conseil international de solidarité avec le Burkina Faso (Cisab), Hessel se rend pour la première fois à Ouagadougou, avec son épouse, en 1990. Invité officiellement pour donner une conférence sur la démocratie, il tombe en pâmoison devant l’apprenti dictateur. « Inutile de le nier, nous fûmes très séduits par cet homme intelligent, fin et qui exprimait bien ses convictions, écrit-il. Il mit l’hélicoptère présidentiel à notre disposition pour nous faire voir le barrage de Bagré et les travaux agricoles qui profiteraient de la régulation des eaux. »

Subjugué, le vieux diplomate accepte même de rédiger une préface pour l’hagiographie que Jean Guion consacre à son champion : Blaise Compaoré, réalisme et intégrité (Berger-Levrault, 1991). Le président du Burkina, s’enthousiasme Hessel, fait partie de cette « nouvelle génération d’hommes politiques africains, épris de justice […] qui donnent à l’Afrique une nouvelle chance1 ». Le préfacier ne s’émeut guère, à l’époque, des bruits insistants qui désignent Compaoré comme responsable de l’assassinat de son prédécesseur, Thomas Sankara. Un tantinet plus lucide, Hessel ne le condamne pourtant pas dans ses mémoires, rédigés cinq ans plus tard : « Estimant que Sankara passait les bornes de l’autoritarisme, il l’avait renversé et fait exécuter »… Vae victis.

Toujours aussi peu indigné, Stéphane Hessel retourne à deux reprises au Burkina, dans les mois qui suivent l’élection présidentielle de décembre 1991, boycottée par toute l’opposition et par les trois quarts des électeurs burkinabés. Il s’y rend notamment en mai 1992, alors que se tiennent des élections législatives, dans le cadre d’une « mission d’observation » électorale. Menée par Pierre Messmer, grande figure de la Françafrique et grand ami de Guion, et guidée sur le terrain par des « chauffeurs » que l’on imagine bien formés, ladite mission validera sans surprise la « victoire écrasante » du parti au pouvoir, pourtant contestée par nombre d’observateurs indépendants.

Depuis cette époque, les choses ont peu changé. Compaoré, au pouvoir depuis vingt-cinq ans, reste vissé sur son trône. Guion continue de défendre la réputation de son protecteur. Quant à Stéphane Hessel, devenu le saint patron des Indignés, valide-t-il toujours la « démocratie » burkinabée2 ?


1 On trouve sur le site du Cisab un texte signé Stéphane Hessel plus louangeur encore. Mais nulle indication sur le contexte de sa rédaction.

2 Stéphane Hessel ne semble pas (encore ?) avoir pris ses distances avec Jean Guion. Selon ce dernier, il serait toujours président d’honneur de L’Alliance francophone, association méconnue qui, présidée par Jean Guion himself, entend défendre à travers le monde les « valeurs véhiculées par la langue française ».

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2 commentaires
  • 17 août 2012, 14:29

    Salut

    De toute façon l’indigné de service a fini sur la photo à droite de François Hollande juste avant l’élection.... Des tas de gogos auront lu son opuscule et l’auront rangé dans la bibliothèque , retournant à leur ronron de collabo , la conscience« tranquille »et l’esprit« revigoré ». L’indignation c’est quand « plus propre » que la révolte ... Merci pour l’info quant à ses liens avec l’assassin de Sankara. Comme quoi on peut avoir été résistant et tout bonnement ne plus être.

    Longue vie à CQFD

    • 1er mars 2013, 20:39, par Décence

      L’homme avait peut être ses contradictions. Les procureurs de CQFD n’en n’ont sans doute pas. Grand bien leur fasse. N’empêche que c’est pas très digne de tirer sur un mort : comme le rappelle @|LIEN6403196|W1dhcmNoYXdza2ktPmh0dHA6Ly93d3cudWpmcC5vcmcvc3BpcC5waHA/YXJ0aWNsZTI2MTZd|@

    • 6 mars 2013, 21:59, par Fernand Pelloutier

      @ decence Tu devrais te relire camarade pour ne pas devenir juge toi-même. Tu connais la formule : « deux secondes avant de mourir, il était encore vivant ». Fais attention aux dates, merci.

      Tirer sur un mort ou sur un vivant ? Et quand bien même ta culture t’oblige à ne pas tirer sur les morts, ma culture m’oblige à relire l’histoire officielle sous un autre angle. Et merci à CQFD de m’y aider. Ni Dieu, ni César ni Tribun. Et tout doit être remis sur la table. Cela ne m’empêche pas d’aimer les articles de Michel Warschawski.

      La meilleure des polices ne porte pas d’uniforme. La meilleure des polices chasse sur les terres du paradis sur terre. L’angle mort/ La rumeur

    • 7 mars 2013, 15:18, par Biroute

      Il faut bien enterrer les cadavres comme celui de Aiselles. Je suis un élécteur centriste mais j’en profite pour tirer mon chapeau à cette critique.

  • 3 mars 2013, 23:59, par PEPITA MI CORAZON

    « Décence » regarde la date de parution = aout 2012, donc il était VIVANT ! Et puis le côté a béatifier les morts, non çà va, HESSEL était pour le débat ; alors stp ; il n’y a rien d’indecent ici !

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Paru dans CQFD n°101 (juin 2012)
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Par Thierry Degrave
Mis en ligne le 17.08.2012