Critique des éoliennes

Les campagnes ne sont pas des gisements de vent

À chaque époque ses symboles à décaniller. Don Quichotte avait ses moulins à vent, nous devons faire avec les éoliennes. Le journaliste Grégoire Souchay a publié Les Mirages de l’éolien (Seuil, 2018). Un dépiautage minutieux et politique de ces machines à courants d’air. Interview.
Par Eugène Riousse

Comment s’installe un parc éolien ?

« Il faut faire des études de vent, savoir s’il y a de la ressource éolienne ; des études de paysage, sur la faune (oiseaux, chauves-souris). Puis il y a un dossier administratif à déposer en tant qu’ Installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE). En sachant que pour pouvoir ériger des éoliennes, il faut qu’elles soient à plus de 500 mètres des habitations et qu’elles ne rentrent pas dans les zones d’exclusion des radars militaires ou de Météo France. C’est ce qui fait dire à des pro-éoliens que 80 à 90 % du territoire est exclu d’éoliennes.

La politique pro-renouvelables s’est intensifiée depuis la loi de transition énergétique de 2015 avec comme objectif 30 % de la consommation d’énergie à l’horizon 2030. Mais cette politique suit une logique de marché privé. Pour les grands projets, cela passe par un appel d’offres et pour les parcs de cinq ou six éoliennes, c’est le promoteur qui fait une proposition aux communes. Début 2017, les dossiers administratifs ont été fusionnés au sein d’une “autorisation environnementale unique”. Ironie du sort : depuis que le préfet est hors jeu pour valider les autorisations d’implantation, on ne sait toujours pas qui est compétent, ce qui bloque administrativement tous les nouveaux dossiers depuis un an. »

Dans quel sens a évolué la réglementation ces dernières années ?

« Les programmes éoliens ont été massivement lancés à la suite de la vague de libéralisation des années 2000. Le modèle mis en place prévoyait alors un soutien public via un tarif d’achat garanti fixe assez élevé pour les producteurs. Au départ, les producteurs vendaient l’énergie à EDF et l’État complétait le prix. Un processus classique lorsque naît une industrie – combien de milliards ont été injectés pour le nucléaire ?

Depuis 2016-2017, on observe un basculement encore plus libéral : pour les installations de moins de six mâts, on n’est plus sur un tarif garanti mais sur un complément de revenus. Les producteurs échangent leur électricité sur la bourse de l’énergie : l’État ne complète plus que jusqu’à un certain palier (entre 40 et 72 €/MWh produit selon la taille des machines). Il y a toujours un soutien public mais il est moindre. En revanche, comme on construit plus d’éoliennes le volume monétaire investi continue d’être important. »

Un des arguments des anti-éoliens est que l’énergie produite serait intermittente » ; ils pointent une rentabilité médiocre...

« Sur le plan technique, on est vite piégés par les mots et les modes de mesure. Quand tu parles d’ “intermittence”, tu reprends le terme des anti-éoliens. Alors que les pro-éoliens parlent d’énergie “variable”. L’énergie éolienne n’est pas intermittente parce qu’une éolienne fonctionnelle tourne, selon les producteurs, 80 à 90 % du temps. Elle est variable au sens où elle ne produit pas tout le temps à pleine puissance. Le mot “intermittence” est piégeux et a été souvent utilisé par des anti-éoliens pro-nucléaires qui vantaient la “constance” des centrales – même si en réalité, c’est loin d’être vrai.

Certains opposants disent parfois que les éoliennes tournent un tiers du temps. Ce qui est faux. Elles ont un rendement équivalent à ce qu’elles produiraient 25 à 30 % du temps total d’une année à pleine puissance. »

Justement, qui sont les opposants aux éoliennes ? Les écolos seraient pour car c’est une énergie renouvelable, les pro-nucléaire contre. Mais on sait que les lignes de front sont plus complexes…

« Les premiers opposants n’étaient pas spécialement “politisés” : des agriculteurs et des riverains qui n’en voulaient pas près de chez eux. Les éoliennes arrivaient de manière brutale, sans un semblant de concertation. Les gens disaient : “Ils les ont foutues là, sans demander notre avis ; les développeurs ont arrosé un voisin qui les accueille au bout de son champ alors qu’on n’en voulait pas. ” Ces premières expériences négatives se sont largement diffusées, notamment sur le plateau du Lévézou, en Aveyron. L’association Vent de colère est née des mobilisations du sud de la France. Leurs arguments : l’énergie éolienne n’est pas assez rentable et les mâts bousillent nos paysages.

Puis est née la Fédération environnement durable (FED) dont le discours est : les éoliennes ne doivent pas défigurer nos jolies campagnes, il faut les concentrer dans des centres de production ou les mettre en mer. La FED a reçu un gros soutien d’historiques du nucléaire comme Giscard d’Estaing ou Christian Gerondeau, ex-président de la Fédération française des Automobiles clubs qui dirige aujourd’hui un think-tank climato-sceptique. Fondamentalement, leur discours, assez droitier, postule que l’éolien est une “arnaque” et campe sur des arguments très techniques.

Depuis quelques années, on observe l’irruption d’une critique libertaire dont la pensée s’articule autour du double rejet de l’éolien et du nucléaire. En Ariège, dans la bien nommée commune de Camarade, des militants ont travaillé profondément la question énergétique, s’alliant pour l’occasion avec des chasseurs, des néoruraux et des villageois. Comme on le voit un peu avec les Gilets jaunes, une coagulation politique hétéroclite s’est nouée contre l’éolien. Avec comme point d’orgue la lutte contre le projet de transformateur de Saint-Victor-et-Melvieu (Aveyron) où a émergé une large critique du système énergétique : “Vous voulez construire des autoroutes de l’énergie, nous imposer un transformateur, eh bien on s’y oppose, ainsi qu’à votre monde.

Enfin récemment, on a vu se raidir certains écolos. L’accumulation d’éoliennes un peu partout, des procé-dures pas toujours raccord avec les “ canons ” de la démocratie représentative ont provoqué une volte-face des écolos ruraux : “On y croyait, aux éoliennes, mais c’est du bull-shit ce que vous nous vendez. C’est pas écolo. Vous bousillez la montagne ! Vous en avez mis dix, puis quinze, trente, cinquante et maintenant cent ! Vous vous arrêtez quand ?  »

Quid des dégâts causés aux oiseaux ?

« Il faut être clair : par rapport aux pesticides et aux lignes électriques, les éoliennes ne sont pas le dispositif qui leur est le plus nuisible. Mais il s’ajoute aux précédents. Une étude de 2017 de la Ligue de protection des oiseaux (LPO) a étudié l’impact de l’éolien sur l’avifaune (oiseaux et chauves-souris). Bilan : l’impact est particulièrement notable dans les zones de protection spéciale (ZPS) où se trouvent les oiseaux les plus rares : vautour percnoptère, gypaète barbu, aigle royal... Des espèces protégées ou en voie d’extinction. Dans l’Hérault, un aigle royal a même été retrouvé mort au pied d’un mât d’éolienne. On pourrait relativiser la chose, mais un ou deux aigles royaux tués chaque année, c’est énorme par rapport à la population de cette espèce. Si la LPO a accompagné un temps l’installation d’éoliennes, elle ne soutient désormais plus les projets dans les ZPS. Dans l’Aude, la section locale a intenté des recours sur des projets très problématiques. Un développeur d’éolien l’a assignée en justice fin 2018 pour recours abusifs. Il réclame un million d’euros pour le retard pris dans les chantiers. Il y a de fortes chances qu’ils se fassent débouter mais ça montre l’état d’esprit des développeurs.

Autre exemple à Bouriège, dans la haute vallée de l’Aude, trois ou quatre développeurs se sont acharnés successivement malgré le refus de la population. Le dernier a réussi à faire passer des camions de trois mètres de large sur des routes normalement limitées à deux mètres. Face à des risques majeurs pour l’environnement, les développeurs les plus vertueux remballent leur projet. Mais comme le gisement a été identifié, des sociétés moins scrupuleuses tentent leur chance. »

En fait, on ne peut construire une critique des éoliennes qu’en prenant du champ et en portant un regard sur la société énergivore dans laquelle nous vivons...

« Macron a dit que l’objectif de l’éolien devait être déconnecté de la fermeture des centrales nucléaires. L’argument massue des antinucléaires depuis 30 ans, à savoir “Faites de l’éolien et du solaire pour fermer les centrales” vole en éclat. La question “pour ou contre les éoliennes ?” nous enferme dans un débat sur une technologie en particulier. Or la question est : que change l’éolien en matière écologique, sociale et économique par rapport aux énergies du passé ?

Dans les aspects positifs, une fois construite, une éolienne produit sans émettre de CO2. Et son infrastructure est réversible : on peut démonter un mât, le béton et les câbles. À terme, le paysage peut être “restauré”.

Par contre, d’un point de vue écologique, on reste dans une économie extractiviste (nécessité de matières premières), pas forcément la pire mais qui s’imbrique avec les autres. À celles du nucléaire par exemple. D’ailleurs les fondateurs de la branche “renouvelables” chez EDF soutiennent qu’il n’y a pas d’opposition entre les deux énergies, qu’elles sont complémentaires. Même chez Total, des gens m’ont dit avoir des intérêts convergents avec l’éolien.

En France, pour l’instant, nous ne sommes pas dans une transition vers des renouvelables, mais sur une mutation du mix énergétique. Actuellement, 50 % de l’énergie est électrique via le nucléaire, l’hydraulique et l’éolien. La production thermique reste essentiellement fossile. L’objectif actuel semble d’augmenter la part de l’électrique pour qu’il remplace le thermique. Sachant qu’il n’y a pas de volonté politique de diminution de consommation d’énergie globale et collective. Et surtout, on ne sort pas de la logique d’une industrie privée faisant des profits privés avec un soutien public. Il n’y a là aucun virage par rapport aux industries du passé. »

Une partie de ton travail s’attache à ancrer la notion de « paysage » dans le champ politique. À ce sujet, tu reprends l’expression du collectif de l’Amassada1 (Aveyron) qui parle des « campagnes colonisées par les villes ». Quelques mots là-dessus ?

« J’ai interrogé des géographes et des techniciens de bureaux d’étude paysagers pour comprendre leur vision de l’éolien. Pour eux, la France a un rapport au paysage qualifié de “patrimonial”, soit un ensemble d’objets fixes et pérennes, faisant référence à une histoire commune. Il suffit de penser à l’affiche de Mitterrand lors de sa campagne de 1981 : “La force tranquille”. On y voit un clocher, un champ, des arbres. En Allemagne du nord par contre, le paysage est plutôt vu comme un espace de ressources communes. D’ailleurs, les discus-sions entre paysagistes français et allemands sont lunaires. Bien souvent, ces derniers n’imaginent pas qu’on puisse trouver une éolienne “moche” !

Le travail critique de l’Amassada résume le piège dans lequel sont enfermées les campagnes. Une face touristique où elles sont perçues comme des centres de loisirs pour urbains en mal de nature, avec ses parcs régionaux, ses marques territoriales, et une face industrielle où elles deviennent des zones de production énergétique de l’électricité qui va alimenter les villes. Ce qui n’est que partiellement vrai parce que l’électricité est aussi consommée sur les lieux de sa production. Mais comme on ne stocke pas l’électricité, elle approvisionne surtout les grandes villes et plus loin même puisque le réseau s’étend des Pays-Bas jusqu’à l’Espagne.

J’insiste : on ne peut pas cantonner l’esthétique paysagère à un simple goût subjectif. La présence d’une éolienne change la nature du paysage. Elle n’est pas comme le tracteur qui rentre au hangar la nuit tombée. Elle est toujours là. La nuit elle clignote et le jour elle tourne. L’absence de paysage non artificialisé nous pose un vrai problème politique : on a créé de la ville, du périurbain, des grands axes routiers et entre les deux, on rajoute aujourd’hui des éoliennes sur les collines ou les crêtes des campagnes montagneuses.

Cette continuité de l’espace industriel participe selon moi d’une vision productiviste où la Nature n’est perçue que comme un stock à exploiter. Or, au regard de l’épuisement des ressources et de la crise écologique, il y a un discours politique à construire. La Nature est un commun qui n’est pas illimité et les espaces considérés comme naturels voire sauvages doivent être conservés. Si des gens refusent des éoliennes parce qu’ils veulent préserver leur paysage, je ne vois pas de raison de leur opposer que leur avis est purement subjectif. C’est important pour eux, ça participe à leur identité et construction sociales. Et puis, quand les éoliennes sont implantées contre l’avis des populations, c’est aussi toute une violence rurale contenue qui ressurgit. La question esthétique liée à la Nature est absente des grilles de lecture d’une “gauche” empreinte du matérialisme marxiste. Or ne pas construire, ne pas aménager, c’est un choix politique. On peut dire : “Stop, on arrête et on réfléchit.” »

Propos recueillis par Sébastien Navarro

1 Collectif actif depuis quatre ans contre un projet de super transformateur électrique à Saint-Victor-et-Melvieu (cité précédemment). Le campement militant est sous le coup d’une menace d’expulsion depuis le 19 décembre 2018.

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