Uruguay

Le futur laboratoire de la dépénalisation ?

Petit pays de trois millions d’habitants pris en étau entre deux géants, l’Uruguay se pose en pionnier dans le projet de légalisation du cannabis. Pour l’heure, la loi, passée de justesse le 1er août à l’Assemblée (50 voix pour sur 96 après 14 heures de débats), devrait être entérinée d’ici la fin du mois de septembre au Sénat.
Pour connaitre le sommaire du dossier « Drogues : la guerre perdue » paru dans CQFD n°114, c’est par ici !

Comme on pouvait s’y attendre, la controverse autour de la légalisation du cannabis a été l’occasion du déballage des arguments attendus opposant les « contre » au camp des « pour », en termes de valeurs morales, d’insécurité et de santé publique. Mais c’est, là aussi sans surprises, le sécuritaire qui a affleuré : écarter les fumeurs des réseaux mafieux et couper l’herbe, si l’on peut dire, sous le pied de ces derniers. Pourtant, de nombreux consommateurs occasionnels n’ont pas le sentiment que leur vie quotidienne sera affectée par la légalisation. Au mieux, cela provoque une certaine hilarité. Joaquin et Mariana, couple de jeunes parents, se poilent : « Faudra voir la tronche des pharmaciens quand les soirs de rupture de stock on appellera les pharmacies de garde pour se faire livrer huit pétards, trois capotes, un demi-litre d’alcool à 90° et de la pommade pour les pieds ! » En effet, il y a déjà belle lurette qu’à Montevideo les fumeurs de marijuana n’ont plus à craindre la répression. La consommation est libre, seul le trafic est pénalisé. On peut fumer assez librement en public, les flics n’y prêtent plus attention.

De surcroît, cette loi, paradoxalement, suppose un niveau de contrôle social supplémentaire. Avant d’aboutir à sa forme actuelle, le projet de loi de « régulation » du cannabis a été bousculé autant par ceux qui s’y opposaient que par des militants pro-cannabis de base. Ces derniers – joyeux jardiniers aux doigts verts – s’inquiétaient du monopole d’État sur la production et la vente, État qui deviendrait ainsi le dealer officiel. Sous leur pression, la loi autorisera finalement la culture privée dans une limite de six plants par personne et la création de Cannabis social clubs de 15 à 45 membres avec une limite fixée à 99 plants. Toutefois, pour pouvoir acheter du cannabis, il faudra être officiellement enregistré comme fumeur et se contenter de 40 grammes mensuels. Les contrevenants seront punis. « Pour ceux qui ne seront pas enregistrés, a prévenu le président de la République, Mujica, nous allons tendre vers un durcissement.1 » Gustavo Fripp, rédacteur de la revue contestataire Oligarca Puto, s’agace : « Tu t’imagines bien que pour me fumer un petit pétard, j’ai pas l’intention de m’enregistrer où que ce soit ou de demander la permission de l’État ! Que va-t-il se passer avec les milliers de gens qui fument sans le déclarer, ou qui plantent sans le déclarer ou qui ont chez eux sept plants au lieu des six autorisés ? »

Les retombées économiques espérées sont loin d’être négligeables et le gros de la production devrait rester monopole d’État et de ses sous-traitants homologués. Il est déjà prévu de s’aligner sur les prix actuels du marché informel (environ 600 pesos les 20 grammes, soit 20 euros). Les bénéfices potentiels sont évalués entre 30 et 40 millions de dollars, alors que le coût de la lutte représente le double. Dans La Republica, journal proche du pouvoir, du 9 août dernier, des éclaircissements intéressants étaient donnés sur les sources du financement de la campagne publicitaire massive qui a accompagné la loi. On y retrouve des pipoles comme le chanteur Sting et le milliardaire Richard Branson qui ont apporté environ 200 000 dollars par le biais de la Drug Policy Alliance (DPA), dont ils sont membres. Cette association états-unienne, créée en 2000, milite pour la dépénalisation du cannabis (surtout à usage médical) et critique ouvertement l’échec de la guerre au narcotrafic menée actuellement. Autre richissime donateur, George Soros aurait aussi lâché quelque menue monnaie pour la bonne cause. À travers l’Open Society Foundations, le milliardaire appuie ouvertement les projets de dépénalisation.

Mais comme souvent chez les philanthropes, les grands principes accompagnent les perspectives de gros profits. George Soros est aussi un des principaux actionnaires de la société Monsanto, laquelle a la mainmise sur le soja transgénique uruguayen, l’une des principales ressources économiques actuelles du pays à l’exportation. Quand on sait que Monsanto travaille actuellement aux États-Unis sur du cannabis génétiquement modifié à usage médical, les spéculations sur les coïncidences d’intérêts entre généreux investisseurs, l’État et Monsanto, vont bon train. Business as usual.

Par Corta

Mec à capuche : Tu sais où en est le conflit des enseignants ? Mec avec l’écharpe : Pas la moindre idée, mais t’as vu que les députés ont approuvé la légalisation de la beuh !?

De notre correspondant à Montevideo, Cheru Corisco.


1 Libération, 7 août.

Facebook  Twitter  Mastodon  Email   Imprimer
Écrire un commentaire
modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.