Cap sur l’utopie

« Le désir non suivi d’action engendre la pestilence »

Quelques livres récents délaissés, attisant le désir de se bigorner pour un monde plus bandant, méritent d’être fourrés dans vos sacs de voyage.

En vrac :

  •   Le dehors de toute chose, d’Alain Damasio (aux éditions La Volte), déchire le cocon du « consensus massif » et en appelle à « désincarcérer les forces de vie que nos paresses et nos peurs enclosent » : « Laissons nos groupuscules de désirs prendre les armes et la parole ! » ; « Qui de vous aura la grandeur de vouloir inventer ce que vivre peut être  »
  •   William Blake ou l’infini, de Christine Jordis (Albin Michel). Un essai biographique subjuguant sur le génial peintre-poète (1757-1827) qui, pour notre plus grand régal, ne savait pas toujours jusqu’où on peut aller trop loin : « Plutôt étrangler un enfant au berceau que de couver un désir inassouvi. »
  •  On reste dans la grande poésie sulfureuse british du XIXe avec Percy Bysshe Shelley (et son refus de la famille, de l’armée, de la chasse, de l’ordre social) qui chérissait l’amour comme une espèce d’utopie en actes : « L’amour se fane sous la contrainte, son essence-même étant la liberté. » Et qui s’organisa un voyage de noces à trois. Dans l’exquis La révolte de l’islam (Gallimard), Shelley se rallie aux insurrections ouvrières anti-machines, anti-impôts, anti-despotes. « Debout ! Levez-vous ! Le bruit éclatant de votre marche doit fracasser les trônes.  »
  •   Du refus d’être père – Contours de l’infécondité masculine volontaire de François Faucon (éditions du Cygne). Sans commentaire. Aussi à lire dans cette perspective, le flamboyant manifeste antinataliste de l’agitateur belge Théophile de Giraud, qui peinturlura de rouge sang la statue bruxelloise du roi sanguinaire Léopold II : L’Art de guillotiner les procréateurs (éditions Le Mort-Qui-Trompe, 2006).
  • Des clameurs de dégoût et des amours malades , de Belgrit (Sens & Tonka), se révolte gloupitamment contre le terrorisme du temps «  enfermé dans sa mesure  » : « Ma montre, en refusant la cadence, m’empêche de courir après le temps » ; « Ma montre est révolutionnaire et refuse d’avoir un métronome au cul ».
  • La lampe hors de l’horloge , collectif (éditions de la Roue). Le plaisir de retrouver une critique anti-industrielle virulente, sans merci, effrontément luddiste, porteuse d’un projet de « ressaisissement de la vie » définissant toniquement ce qui pourrait être une révolution selon le cher Gustav Landauer : « Chacun travaille selon ce qui lui semblera bon ; tout assujettissement est supprimé ; l’esprit juridique n’a plus cours ; les instituteurs et les fonctionnaires en charge seront destitués au plus tôt.  »
  •   Le messager de Hesse , de Georg Büchner (éditions Pontcerq). Sur l’air de « Faisons tout péter pour tout recréer », la réédition d’un brûlot de la Haute-Hesse révolutionnaire, glissé de nuit en 1834 sous les volets même des manants auxquels il s’adressait.

Et encore des histoires prenantes avec des pieds nickelés estimant que vivre illico comme des hors-la-loi libertaires, c’est une façon chouette d’annoncer les plus désopilantes utopies :

  •   Coup de chaud à la Butte-aux-Cailles (La Différence), d’Yves Tenret, le fricasseur de Comment j’ai tué la Troisième Internationale situationniste, qui nous acoquine avec César, un arnaqueur guilleret à l’Assurance maladie et aux allocations chômage plein de ressources. Tandis que dans le roman déjà culte de Craig Clevenger, Le Contorsionniste (éditions Le Nouvel Attila), c’est un faussaire de génie traqué par la police, la mafia et les hôpitaux psychiatriques qui, pour leur échapper, endosse arsènelupinesquement des identités diverses.
  •  Si vous désirez vous compromettre un peu plus avec de satanés gibiers de potence, y a encore en tout cas le roboratif L’éthique des hackers de Steven Levy (éditions Globe), le mordant Je regrette de Jean-Marc Rouillan (Agone) et les étourdissants mémoires – Aux Marches du palais (éd. Le Nouvel Attila) – du gentleman-preneur d’otages Georges Courtois, qui a réussi lors de son procès à tourner en ridicule la justice bourgeoise.
Noël Godin

* Le titre de la présente chronique est une citation de William Blake.

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