Ma cabane pas au Canada

Le bus du bocage

Le 8 octobre 2016, plus de 40 000 bâtons résonnaient sur le sol de la ZAD à Notre- Dame-des-Landes… Des dizaines de milliers de personnes confirmant leur retour en cas d’expulsion de la zone. Reportage sur la route, dans un bus de la Conf’.
La Une du n°148 de CQFD
***

(C’était il y a trois ans dans “CQFD”...)

Parfois les idées les plus saugrenues finissent par l’emporter : le clafoutis aux bananes, la Banque mondiale ou la victoire de Bruno Lemaire aux primaires. J’ai choisi l’une d’entre elles : protester contre un aéroport en y allant en bus. L’aéroport, c’est celui de Notre- Dame-des-Landes. Le bus celui de la Confédération paysanne du Var : les péquenots qui ont raté leur entrée dans le marché commun. La proposition : 26 heures aller-retour au lieu de trois en avion. 100 euros en car, 70 en avion. Va comprendre. C’est une des curiosités de l’économie circulaire. Enfin pas question de renier ma foi écolo. Donc, nous voilà une trentaine à embarquer dans un bus à Aix-en-Provence.

Très vite, je comprends que l’autocar est rempli de contestataires endurcis. L’un d’eux, paysan, est déjà monté dans le bocage avant 2012 et la fameuse opération foireuse César, un autre récolte du miel et le reste m’est avis que ce sont des fonctionnaires en RTT. Tu vois le topo. Sweats noirs ou cheveux longs avec des tongs, sacs à dos, bâtons sculptés, moustaches, pour le portrait. Il y a même une tribu d’éleveurs de brebis, avec des sacs de nourriture pour ravitailler le car. Des fois, tu vois, qu’on ne puisse pas s’arrêter sur une aire d’autoroute. De toute façon, ils sont contre. D’emblée le chauffeur, un « ca’marade esploité ‘videment » nous prévient : il n’ouvrira pas les toilettes du bus. Sauf en cas d’absolue nécessité. Genre : t’as déjà vomi où tu te fais pipi dessus. Consternation... Ça va être coton de lansquiner entre les deux fronts.

Une chorale commence à chanter et à écluser des bières. Pourtant, c’est pas un déplacement de l’OM ! Si l’ambiance monte en température rapidement, le thermomètre, lui, descend au niveau des pingouins. On arrive dans la Loire. Donc au pays des corbeaux. C’est le point critique. Je l’avais dit, faut pas dépasser Avignon dans le Nord. Là, on dépasse les bornes, on arrive vers Givors : la grande vallée glaciale. On mange sur un parking d’une station fermée et pis on repart en changeant de chauffeur sauf qu’on a perdu Robert, un vieux militant du Luberon. On le retrouve au fond du bus. Pas pour longtemps. Il empoigne le micro pour nous causer Tafta, Ceta et pourquoi pas Pastaga, l’accord de libre-échange entre Ricard et la Provence.

Là-dessus tout le monde se croit autorisé à venir vendre sa soupe d’ortie militante. Françoise distribue des tracts sur la vraie raison pour laquelle l’État veut évacuer Notre-Dame-des- Landes. La chorale s’époumone en chantant « La Ciotat » de Moussu T. Du pâté végétal circule. Une bouteille de rhum est siphonnée en deux minutes. Ça sent la rillette et le camembert. Tout baigne. Dès qu’on approche d’un péage, ça chante « Vinci Pourri ». On a ainsi droit aux sempiternels appels à manifester tous les week-ends d’octobre. Si tu comptais te reposer à Ikea, dimanche, c’est raté ! J’attends plus qu’un sermon sur les compteurs Linky.

À côté de moi, pas de bol, deux lectrices de La Décroissance se sont installées. Je suis cerné. Je vais devoir faire pénitence parce que j’ai un smartphone. Et avoir droit au chapitre sur le nucléaire, les voitures polluantes et Piolle, le maire de Grenoble. Et tiens, ça y est, elles me sortent Le Postillon  ! Le canard de chez eux alors que je m’évertue à leur refiler CQFD  ! À côté, pour parachever le tableau il y a Luc, paysan en brebis habillé comme en 68, donc en brebis, et son pote qui se trimballe avec sa caisse de pommes. Il y a même une jeune psychologue qui a une devise : être heureuse. « Un peu en touriste » à Roybon. « J’étais même à Sivens quand ils ont tué Rémi Fraisse. » Ben tiens… c’est beau l’innocence.

Le matin, le bus atterrit à Notre- Dame-des-Landes où un guide, de gilet fluo vêtu, nous donne notre numéro de bus : ce sera le 9. Retenez bien : le 9. C’est raide à retenir. On fait un effort. Ça proteste un peu dans le fond. « T’es qui toi ? » Puis finalement il annonce : Non ! vous êtes le bus 8. Nous, on est tout chamboulés. Il nous conduit jusqu’aux Ardillières où nous déchargeons nos sacs à dos.

Dans cette campagne chérie, c’est beau, pas trop mouillé et plein de tentes. On se met en ordre de marche vers la Vache-rit. Je me jette au sol et me prosterne. Enfin arrivé à La Mecque. La grâce me tombe du ciel, s’il n’y avait cette chorale qui chante à tue-tête. Personne ne proteste à cause de la non-violence qui prévaut ici. Une bonne soupe, un café offert par l’Acipa1 et on s’aperçoit que tout le monde a bien son bâton.

Ça grossit de partout comme un fleuve irrigué par des ruisseaux. La balade se poursuit vers le Q de plomb. Il y a un chat qui joue avec un talkie- walkie. On lit des banderoles méchantes et on voit des cagoules dans les chemins, ça a son petit effet. « Ni expulsions ici, ni à Calais. » Y a un aéroport à Calais ? On nous vend des sandwichs. La chorale débouche du muscadet et chante tout son soûl. Le flot est continu. De partout arrivent des manifestants. À Bellevue, des chapiteaux géants sont dressés. La Plaine comme dans les Far West s’étend à l’infini. On y achèterait un pavillon mais pas ici : trop d’avions et surtout trop de zadistes. Des ennemis de la propriété privée, à ce que j’ai compris dans leur brochure.

Christophe Goby

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1 Association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d’aéroport.

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