Municipales coliques

La liste « popolitique » qui aurait pu changer Grenoble

Elle voulait réinstaller vingt-deux cabines téléphoniques à pièces. Faire de Grenoble une ville à internet bas débit. Affecter les policiers municipaux aux espaces verts et interdire les contrôles de tickets dans les transports en commun. Au bord de l’Isère, la liste du « Parti popolitique » a très sérieusement mené campagne pour les municipales. Pour mieux tout envoyer balader au dernier moment.
Par Nardo

Grenoble, 15 février 2020. Les montagnes sont enneigées et, à un mois du premier tour des municipales, le panorama politique est assez givré. Il y a la liste du maire sortant, Éric Piolle. Incarnation de l’union de la gauche verte et rouge, elle avait réussi en 2014 à détrôner le Parti socialiste, générant beaucoup d’espoir – et finalement pas mal de déceptions. Il y a la liste du revenant, Alain Carignon. Maire RPR de 1983 à 1995, il fit ensuite près de deux ans de prison pour corruption – ce qui n’empêche pas Les Républicains de lui apporter leur soutien cette année. Il y a évidemment une postulante macroniste, un concurrent frontiste et quelques autres. Mais ce qui vient épicer la campagne électorale, c’est le Parti popolitique. Fondé au mois d’août, il est interviewé dans la presse locale et convié aux débats entre candidats au même titre que les autres.

Sa meneuse ? Lisa Poget, 25 ans, dite « Popo » – d’où le nom de la formation1. Son slogan ? « La blague, c’est les autres ». Son programme ? Une collection d’idées plus ou moins loufoques, certaines franchement géniales, d’autres juste de pur bon sens.

Tampax gratuits et baisse des loyers

Si Popo est élue, Grenoble sortira de la métropole : « Une métropole c’est trop grand, une métropole c’est trop obscur, trop tout court. Le pouvoir doit être redonné à ceux qui ne veulent rien en faire. » Des péages exorbitants seront installés aux entrées de la presqu’île scientifique, qui concentre une palanquée de centres de recherche high-tech. Dans le tramway et les bus par contre, les contrôles des titres de transport seront prohibés ; mais pas de panique : « Quiconque souhaitera payer le ticket sera libre de le faire. »

En cas de victoire de Popo, un réverbère sur deux sera éteint et « pour une meilleure intelligibilité », le terme « bio » sera interdit : à la place, une mention « chimique » sera apposée sur toutes les autres productions alimentaires. Plutôt que des pubs, on trouvera sur les arrêts de bus des ardoises et des craies de couleur, offrant libre cours à l’imagination de chacun. Les déchetteries « se verront dans l’obligation de refuser tout objet encore utilisable, et lesdits objets seront disponibles dans un lieu pendant 56 jours ouvrables, avant d’appartenir à la municipalité, qui leur trouvera une utilité quelconque ».

Pour permettre aux habitants de se rafraîchir par temps de canicule estivale, « l’ouverture des bouches à incendie sera autorisée ». Quant à la piscine Jean-Bron, elle accueillera le public toute l’année : « L’absence de sa toiture n’entachera en rien l’enthousiasme des Grenoblois. Les années les plus fraîches permettront d’y faire de la patinoire. » Par ailleurs, toutes les piscines et bibliothèques municipales resteront ouvertes 24 h/24, à l’instar des halls de la mairie, des musées ou encore des banques : ces lieux jusqu’ici chauffés inutilement la nuit seront dorénavant accessibles aux sans-logis. Autre mesure forte sur le logement : « Les loyers seront largement revus à la baisse par arrêté municipal. Popo aspire à 47 % de baisse sur cinq ans. »

Pour les femmes ayant leurs règles, « les protections périodiques seront accessibles gratuitement dans les bureaux de tabac et boulangeries ». Côté culture, un festival municipal de statues renversées sera organisé deux fois par an. « La première statue sera à l’effigie d’un grand homme de l’histoire grenobloise : Michel Lotito, dit Monsieur Mangetout. Cet homme a mangé, de son vivant, un avion, sept téléviseurs, quinze caddies, deux lits et un ordinateur. C’est un exemple d’héroïsme pour tous. Il mérite sa statue. »

Dernière mesure audacieuse : « Pour des raisons de sécurité urbaine et alimentaire, la police municipale sera désarmée et travaillera désormais aux espaces verts. »

« Nos propositions sont toutes possibles »

Mais d’où est venue l’idée de monter cette liste ? De passage à Marseille pour un concert, Yves Muda, musicien et colistier, nous déroule ses éléments de langage : « En fait on a tous un ego surdimensionné, avec beaucoup d’ennui dans nos vies. Certains d’entre nous n’avaient même pas leur carte électorale, mais on a eu envie de s’incruster dans ce jeu. »

Et puis il y a eu l’inspiration du Parti sans cible, qui s’était présenté en 2014 aux municipales à Amiens (Somme), avec un programme assez délirant : « Interdire le port des voiles pour les bateaux » ; « Arrêter les 3/8 pour passer au 8/6 » ; « Créer des lignes de trams en zigzag afin de ne pas perturber les personnes en état d’ébriété » ; « Remplacer le signal d’avertissement des bus par la chanson “À la queue leu leu” » ; « Délocaliser l’administration de la mairie d’Amiens au Maroc » ; « Envoyer quelqu’un dès qu’un problème survient » ; ou encore « Rapprocher la Terre du Soleil à partir de septembre pour éradiquer l’hiver ».

Il y a une différence de taille entre la démarche du Parti sans cible et celle du Parti popolitique : le réalisme des propositions. « [Les nôtres] sont toutes possibles, même si elles impliquent de remettre en question plein d’imaginaires établis », insiste Lisa Poget dans un entretien au Postillon, chouette canard indépendant de « Grenoble et sa cuvette ». Yves Muda renchérit : « Nous on essaye d’être drôles, mais la blague c’est les autres candidats. Leur façon de faire, leur prétention. Il y a un côté clownesque dans cette farce électorale. »

« Nous exigerons un strapontin »

En 2014 à Amiens, le Parti sans cible avait glané 2,17 % des voix mais n’avait décroché aucun siège. À ce sujet, le Parti popolitique a été clair dès le début de sa campagne : en cas d’obtention d’un siège, « nous exigerons un strapontin. »

Tristesse : il n’y aura finalement ni siège, ni strapontin, ni chaise, ni fauteuil, ni même un simple tabouret. Le 27 février, date limite de dépôt des listes candidates en préfecture, le Parti popolitique a finalement renoncé à se présenter. Il aurait fallu payer pour ouvrir un compte de campagne (minimum 160 € de frais à la Banque Postale) et imprimer les bulletins de vote. « Nous refusons d’accorder une telle importance pécuniaire à un jeu auquel on ne croit même pas », ont argué les presque candidats. Avant de lancer un ultime appel aux Grenoblois : « Dans un souci d’équité démocratique, nous, Popo, demandons officiellement aux candidats et candidates de se retirer à leur tour de cette campagne, afin d’annuler ces élections grotesques une bonne fois pour toutes. Dans le cas contraire, nous haranguerons les foules de notre ambition de base. Votez Popo. Au cas où. Popo annule. Popo est nul, voter Popo c’est voter nul. Une logique implacable. L’enfer c’est l’époque. »

Clair Rivière

1 Le sigle PSG, pour « Parti socialiste grenoblois », avait été évoqué un temps, mais finalement repoussé pour cause d’emmerdements probables.

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