La liberté d’expression dans la presse, mais qu’est-ce qu’on va faire de ça ?

Qu’un propos publié par voie de presse soulève des tollés ou des dégoûts et voilà que les bonnes âmes sortent, illico presto, du chargeur l’illustre phrase – par ailleurs apocryphe – de Voltaire : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai pour que vous ayez le droit de le dire. » C’est beau, c’est grand, c’est émouvant. Et c’est avec cette généreuse tolérance que les beaux esprits se lèvent fièrement, à l’instar de leur héros tutélaire, contre la censure en agitant les fantômes du totalitarisme. Mais éclairons un peu le philosophe des Lumières, apôtre de cette liberté, par un autre de ses propos qui définit le monde réel dans lequel l’envolée voltairienne s’épanouit : « Un pays bien organisé est celui où le petit nombre fait travailler le grand nombre, est nourri par lui, et le gouverne. » Manière de remettre les pendules à l’heure ! Car, indépendamment des propos qui peuvent soulever de l’indignation, qui sont les détenteurs de cette liberté d’expression ? Côté presse de masse, ce ne sont que des Lagardère, Dassault, Bouygues, et autres Rothschild qui, entre commerce d’armes et activités financières, fournissent chaque jour ce qu’ils appellent de l’info, produite par des contingents de journalistes soumis aux lois modernes du salariat exigeant une docilité sans réserve. Les annonceurs qui nourrissent cette presse de leurs espaces publicitaires y veillent, ainsi que le rapportait Le Canard Enchainé du 12 octobre 2011 à propos d’EDF et d’Areva. Et c’est dans le cadre de cette douce fraternité entre élites que l’ex-directeur du Monde, Jean-Marie Colombani, avait pu dire en 2003 : « Nous devons souscrire d’autant plus naturellement à l’économie de marché que nous jouons chaque jour notre vie. »

Quant au « plus grand nombre » qu’évoque l’illustre philosophe, où est il ? Quelle parole leur est concédée dans le cadre de la générosité démocratique ? Parlant des débats télévisuels où s’exhibent toujours les mêmes « experts », zélés propagandistes du libéralisme, le sociologue Sébastien Rouquette décrit : « En 1989-1990, les plateaux de débats télévisés ne comptaient que 10 % d’ouvriers et d’employés invités à s’exprimer, alors que ces deux groupes représentaient plus de 60 % de la population active. Les classes populaires étaient donc six fois moins présentes dans les débats médiatiques dits “démocratiques” que dans l’ensemble de la société. » Et d’ajouter que : « Depuis, ces proportions n’ont guère évolué... » Le pauvre Charb, fidèle passe-plat des saloperies contemporaines, se réjouissant d’aller à la rencontre du peuple à la Fête de l’Huma, l’admet candidement : « Je n’ai pas l’occasion de rencontrer des salariés en lutte en faisant un journal satirique1 »

Mais que quelques péquins aient l’audace de tenter une publication régulière autre que confidentielle et voilà qu’apparaît une autre réalité de la liberté d’expression : la distribution et la diffusion de la presse. En décembre 2010, CQFD, par exemple et au hasard, exposait sa situation : « Au sein d’un fatras de mesures, la boîte [i. e. société de distribution] a glissé une vile révision des barèmes : depuis le 1er octobre dernier, “les coûts réels de la distribution” sont pris en compte. Auparavant, les petits éditeurs, spécialement ceux d’information politique et générale, bénéficiaient d’une ristourne. C’est fini… »

Liberté d’expression ? Il s’agit plus précisément de leur liberté et de leur expression, dont le but est de dessiner un monde merveilleux, celui de la loi du marché où se célèbrent sans cesse la concurrence entre tous et la peur des autres.


1 « Charb et Charlie Hebdo à la Fête de l’Humanité », septembre 2012 : www.youtube.com/watch?v=yykFS0LNlC0.

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