La BD aussi fait voir du pays

• Ils sont Turcs en Grèce ou Grecs des îles réfugiés à Athènes. Ils sont pauvres et musiciens. La journée, ils dorment, zonent et fument du haschich. La nuit, ils boivent, zonent et fument du haschich. Et jouent du Rébétiko – « On le nomme parfois le blues grec » – dans des rades de quartiers mal famés. À partir de 1936, sous la dictature de Métaxas, ces marginaux à bouzouki « devaient être matés ». C’est leur histoire que nous raconte superbement David Prudhomme dans un album sorti en 2010, mais ligoté par mes soins que récemment. Revoilà le cliché du musicien sans le sou ni maître, dites-vous ? Peut-être, et alors ? Laissez-vous faire, que diable ! Qu’elle est bonne, leur liberté toute crue, dure, drôle parfois, pleine de vie, de galères, d’amitiés et de coups partagés. On fini l’album comme si l’on avait passé toute une nuit à errer et danser à leurs côtés. Tout bourré.

• Le conflit israélo-palestinien ? Il y a belle lurette que vous avez abandonné. Et peut-être même n’avez-vous jamais tenté d’y piger quoi que ce soit… Rassurez-vous, vous n’êtes pas les seuls. Guy Delisle en fait l’aveu dès les premières pages de ses Chroniques de Jérusalem : « J’ai rien compris mais je me dis qu’avec une année entière devant moi, je devrais arriver à y comprendre quelque chose… » Un bon gars, ce Delisle : de son séjour en Israël – où il a suivi sa compagne membre de Médecins sans frontières –, il nous a ramené un reportage de plus de trois cents pages sur la politique menée par l’État hébreu à l’encontre des Palestiniens. Et, effectivement, il en pige des choses, à travers son quotidien de père de famille et d’auteur de bande dessinée. L’ouvrage est des plus didactique tout en réussissant, une gageure étant donné le sujet, à nous faire marrer au détour de chaque page. Cependant, la posture de candide revendiquée par l’auteur, qui ne découvre la réalité du conflit qu’à travers ses pérégrinations, devient assez vite quelque peu artificielle. Comme si rien n’avait jamais été écrit sur le sujet…

• Mana Neyestani, dessinateur iranien, a eu l’idée somme toute saugrenue de représenter un cafard dans l’un de ses dessins de presse. Une bévue animalière lourde de conséquence puisque cela lui a valu de longs interrogatoires menés par de charmants agents du ministère des Renseignements et de la Sécurité nationale ainsi que deux mois de placard dans une prison non officielle – vous découvrirez vous-même pourquoi. « Bouleversant, Une Métamorphose iranienne est une plongée en apnée dans le système totalitaire kafkaïen mis en place par le régime iranien », indiquent les éditeurs. En effet. Mais nous retiendrons aussi comment l’ambassade de France, qui s’était engagée à lui « fournir un visa de toute urgence », l’a oublié aussi facilement que l’on oublie son premier cafard écrasé d’un coup de talon.

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