Cap sur l’utopie

Joseph Déjacque : « Porter la perturbation chez les civilisés »

Les éditions de l’Atelier de création libertaire de Lyon ressortent un chef-d’œuvre devenu introuvable du tapissier émeutier Joseph Déjacque. Les Lazaréennes (1851) sont une mosaïque délicieuse de fables et de poèmes incendiaires conviant à réinventer la société.

Après avoir fait fête dans cette rubrique à l’épastrouillant visionnaire Charles Fourier et à son Nouveau Monde amoureux (1820), et après avoir porté un toast le mois dernier à un autre utopiste génial, le docteur Ernest Cœurderoy, dont les éditions Héros-Limite rééditent le fabuleux Jours d’exil (1854), nous nous devions d’applaudir aussi le troisième mousquetaire de l’anarchisme utopiste carabiné, le tapissier émeutier Joseph Déjacque. D’autant plus que les éditions de l’Atelier de création libertaire (ACL) de Lyon sortent un de ses chefs-d’œuvre devenus introuvables, Les Lazaréennes (1851), une mosaïque délicieuse de fables et de poèmes incendiaires conviant à réinventer la société.

Sans le moindre sens de la mesure ou de la litote, sans jamais moucheter tant soit peu ses fleurets, le pamphlétaire s’en permet des belles avec un humour trash qui n’est pas alors perçu comme tel. C’est ainsi que pour préparer le « simoun révolutionnaire » contre « l’oppression bourgeoise et princière », il exhorte « la plèbe des ateliers » à combiner ses forces avec celles de « la plèbe des bagnes », et s’adresse directement aux assassins et voleurs afin qu’ils aident les pue-la-sueur en colère à « porter la perturbation chez les civilisés » et à « élever leurs attentats quotidiens contre la vie et la propriété des riches à la hauteur d’une insurrection sociale ». Tous les schémas marxistes volent donc ici en éclats. Pour Déjacque, comme plus tard pour un Bakounine qui se tournera également vers les brigands mais d’une façon moins paroxystique, la classe des révolutionnaires en branle-bas de combat, ce n’est pas la classe des seuls prolos, c’est la classe de « tous ceux qui souffrent et veulent jouir ».

Mais Déjacque ne veut pas seulement tout raser. Il faut préciser que, dans son nouveau monde, « l’on prendra les noms et les prénoms qui nous conviennent », qu’on y pourra changer quotidiennement de palais, que la « liberté de l’instruction » s’y fondra en « instruction de la liberté ». Mais aussi que l’on pourra s’y vêtir de la plus invraisemblable manière, qu’on y sera chacun son propre docteur miracle et son propre apothicaire, que l’on ne s’y séparera pas tout à fait des morts aimés puisqu’on les utilisera comme engrais, qu’on y « commandera aux saisons », et que les loupiots pourront y enfourcher des bêtes fauves « comme des dadas », « les phénomènes et les utopies n’étant des phénomènes et des utopies que par rapport à notre ignorance ».

Noël Godin
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