Valse des Grandes Bêtes

Invitation au « Méchoui »

En ces temps de course à l’apocalypse, rien ne vaut un bon gueuleton bestial. Et c’est bien ce que vous propose l’un des membres de CQFD, qui vient d’auto-éditer un récit lyrico-chelou entrecoupé de collages préhistoriques, Méchouis. On vous en propose la préface exclusive.

Le texte ci-dessous a été rédigé par notre collaborateur Xanax de La Muerte (en charge notamment de nos horoscopes mensuels) en tant que préface à un livre qui vient d’être auto-publié par notre autre camarade Lémi : Méchouis. Le sous-titre de ce drôle de récit frappadingue : Grandes Bêtes fantastiques et pataudes venues tout casser chez nous pour nous sauver de la tristesse et du vide. Notez que cette préface n’est finalement pas publiée dans le livre, qui débute directement en territoire Méchouis – et qu’on la publie donc en exclusivité ici, suivie d’un court extrait.

Ayant un féroce sens des affaires et le goût des montres de luxe de type Breitling à 50 000 boules, ledit Lémi tient à préciser qu’il existe pas loin de 200 exemplaires de ce livre attendant de trouver preneur, qu’il est à prix libre et qu’il suffit d’envoyer un petit mail avec adresse postale à l’adresse trogne@riseup.net pour se voir envoyer par la poste dans des délais pas trop étendus un exemplaire original et dédicacé à coups de dessins approximatifs de volatiles ivres1. 168 pages d’envolées apocalyptiques, avec des collages de la grande Chloé de Lustrac et une mise en page trop patate avec couv de ouf de notre super graphiste Cécile Kiefer.

Que demande le peuple ?

Des Grandes Bêtes furieuses déferlant sur ce monde, c’est évident.

« Préface / Du pipeau ? »

La faute à l’ère du temps, mesquine, minuscule, dénuée d’élans et de fissures où glisser la magie et ses lucioles, le manuscrit de Méchouis a longtemps été jugé apocryphe. Découvert il y a quelques années par des paléontologues lettons dans les tréfonds d’Internet lors d’une expédition numérique polaire, il n’a pas tardé à être largement brocardé. On lui a notamment reproché un certain manque de rigueur scientifique confinant au poético-loufoque, ainsi que son inscription dans un espace-temps trop chamboulé pour pouvoir décrire une quelconque réalité.

Piaillant d’une indignation biberonnée à la mamelle de la plate « rationalité », la doxa était unanime : impossible que cette plongée dans un futur sanguinaire soit autre chose qu’une pure et vile œuvre d’imagination.

Voire : un canular.

Un récit prophétiques gambadant en moonboots de sept lieues dans les crépuscules narratifs de lendemains incertains tout en revendiquant sa véracité ? Cela semblait trop gros, limite injurieux pour l’entendement humain.

Un point de vue notamment endossé par l’anthropologue Léonid Kalochtron, cas d’école question œillères, qui lors d’une conférence donnée en 2020 à Erevan éructait dans sa grande barbe blanche tachée de ketchup : « Quiconque voit dans ce conte pour enfants profondément malsain autre chose qu’une gigantesque escroquerie est à coup sûr mentalement dérangé. Je l’affirme haut et fort : c’est un coup monté. Si je me trompe, que cette bouchée de saumon à l’aneth m’étouffe ! »

Applaudissements nourris dans la salle au moment où le savant empoignait sa fourchette d’une paluche décidée.

On connaît la suite : arête bloquée dans l’œsophage, Léonid tout bleu, cris affolés (y’a-t-il un paléo-médecin dans la salle ?), manœuvre de Heimlich inopérante, fin des haricots en approche, pis couic – adios veaux, vaches, Kalochtron.

Si l’épisode fit couler beaucoup d’encre, teintée de sarcasmes et de blagues douteuses, cela n’a pas suffi à faire basculer la frileuse communauté scientifique, laquelle s’entêta dans son immense majorité à refuser d’authentifier le texte.

Pire : malgré ce premier avertissement certains analystes ont été jusqu’à mettre en doute la santé mentale de l’auteur de ce récit, diagnostiquant une forme de sociopathie dans son approche narrative subjective et ses jugements sur le déclin de la civilisation humaine.

« L’œuvre d’un fou dangereux doublé d’un féroce anarchiste ! », tança ainsi le profiler du FBI Joseph McDermish, à l’occasion d’un colloque de réconciliation russo-yankee organisé à l’ambassade américaine de Moscou, début 2022. « Je peux vous assurer que le gars qui a écrit ce tas de bouse est plus siphonné qu’un symposium d’admirateurs de Charles Manson. Foi de McDermish, je n’aimerais pas être dans son cerveau. Le considérer comme un auteur crédible est aussi absurde que de prendre au sérieux la thèse du réchauffement climatique. »

Embarras dans la salle, vite suivi d’un aparté avec des officiels du GIEC. Ainsi informé des récents développements en matière de fin du monde imminente, le (jusqu’ici) fringant enquêteur vedette du FBI perdit toute contenance. Pâle comme un fantôme, il bredouilla deux ou trois mots incompréhensibles, oscilla quelques secondes, puis s’écroula à grand fracas, succombant illico à une foudroyante crise d’anévrisme et laissant derrière lui une veuve fort consolable, trois enfants laids aux tendances psychopathes et un tombereau d’innocents derrière les barreaux.

Quand elle bafoue tous nos présupposés, la vérité est semblable à la mort-au-rat ou au ragoût de pangolin faisandé : elle ne se digère pas aisément.

Quoiqu’il en soit, ces deux décès, certes troublants, auquel il faut ajouter celui de la cantatrice Carmen Lumpovitch un soir de représentation parisienne de l’opéra éponyme – Méchouis, fracas du nouveau monde –, qui la vit s’affaisser comme un soufflé mal dosé lors de la fameuse aria dite des « viscères virant lumières », n’ont en aucun cas valeur de preuve.

La thèse de la malédiction à la « Toutankhamon 2.0 » a beau être très populaire chez les internautes férus d’ésotérisme mythologique, elle se déploie en territoire douteux.

Il existe par contre un vaste terreau de faits non élucidés qui, mis bout à bout, dessinent les contours d’une dissonance historique pour le moins sulfureuse.

Ainsi des photographies accompagnant le récit, lesquelles ont clairement remis en question des bases jusqu’ici considérées comme inébranlables en matière de paléontologie et d’anthropologie. Authentifiées par des tests au Carbone 14, disséquées sous toutes les coutures, ces images démontrent en effet ce qui était jugé impensable : la coexistence entre dinosaures et êtres humains. Un coup de tonnerre pour l’entendement humain.

Collage de Chloé De Lustrac

De nombreuses théories ont fleuri suite à cette découverte, la plus populaire avançant que de lestes fractures de l’espace-temps auraient secoué Mama Humanité en début de troisième millénaire, saupoudrant du fantastique là où ne régnait qu’une peu engageante rigueur frigorifiée. De là à imaginer qu’un texte venu du futur vienne télescoper notre présent : pourquoi pas ?

Autre source d’interrogation, et de taille, celle-ci davantage liée au texte lui-même : l’étonnante ubiquité de l’auteur, capable de décrire à la fois l’étincelle enfantine ayant provoqué le « méchouis planétaire » que des scènes de vie quotidienne chez l’envahisseur Grandes Bêtes ou les reconquêtes cruelles de la guérilla bipède – un pied dans la boue humaine, un autre dans le magma bestial. Tout écrivain cherchant à bidonner son récit aurait privilégié une approche plus « plausible », moins « énorme ». Or force est de constater que le récit ne s’embarrasse pas de logique, ne cherchant en rien à proclamer son exactitude : les incohérences y pullulent, ainsi que les rebondissements éthiques et métaphysiques, le narrateur tentant même à l’occasion de se dédouaner en réduisant sa geste à un simple rêve. N’est-ce pas la preuve de sa totale honnêteté ? Et donc de son caractère éminemment prophétique ?

« Tout est vrai, rien n’est fortuit », assène froidement l’auteur en préambule de son texte. Difficile de ne pas y croire quand l’on connaît les résultats de l’étude menée en octobre 2020 par un sociologue de l’université de Wichita : menée sur un panel de 312 enfants, elle se basait sur une approche comparative, chacun d’eux se voyant confronté à divers textes théoriques d’anticipation, notamment le best-seller de Jeff Bezos Mon futur, ma fusée, mon phallus, votre fin du monde. Chargés d’établir leur degré de réalisme au regard du texte qui nous intéresse, 97,9 % des marmots ont gaillardement plébiscité Méchouis. Si nombre d’entre eux ont atterri en hôpital psychiatrique dans les mois qui ont suivi, cela ne change rien à la dimension presque irréelle du résultat, digne des plus belles dictatures d’Europe Centrale.

Quant à cette étonnante Encyclopédie des GOUFFRES découverte en même temps que Méchouis (et parfois citée dans le texte), ouvrage de 2 387 pages allant de « A » comme « Addiction » à « Z » comme « Zoologie », on n’a pas encore fini d’en répertorier les richesses. Il nous suffit de dire que le Congrès médico-transcendental d’Oulan-Bator, consacré à « la dépression créative comme marqueur d’une marginalité extra-galactique », a validé la plupart des présupposés développés par l’auteur, que l’on tend désormais à considérer comme un Diderot des espaces infinis, mâtiné de Ravachol.

Il y aussi cette étonnante photographie qui circule beaucoup sur Internet ces derniers temps et tend à valider la coexistence dino-humaine. On y voit un ptérodactyle défunt et criant de vérité devant lequel posent dix ressortissants de l’Arizona, à moustaches et chapeaux étonnamment similaires, semblant à la fois fiers et un peu terrorisés par la situation. L’histoire a en son temps été documentée par un canard du coin, le Tombstone’s Epitaph, dans une édition d’avril 1890 relatant la « chasse » au dit « oiseau-tonnerre » (thunderbird) : « Après le premier choc d’étonnement éprouvé [à la vue du monstre] par les deux hommes, qui étaient à cheval et armés de fusils Winchester, ils retrouvèrent suffisamment de courage pour le poursuivre sur plusieurs kilomètres avant d’arriver à distance de tir et parvinrent à le blesser. La créature se retourna vers les deux hommes qui tirèrent avantage de son état d’épuisement, et après quelque coups bien portés, le monstre roula au sol et resta immobile. »

À l’image du Vosgien consanguin, l’arizonien moyen n’est pas considéré comme un parangon de douceur et n’a généralement pas valeur d’exemple-type en matière de « belles personnes », c’est un fait. Reste que cette propension à dégainer son flingue dès lors qu’un mystère se présente, à arroser au gros calibre les fantômes et les chimères, fait office de métaphore assez pertinente du futur prophétisé par l’auteur.

À force de tirer sur la corde et les oiseaux géants, le boomerang finit par infléchir sa trajectoire, direction notre tarin.

Dans le seul entretien qu’on lui connaît, accordé à un obscur canard complotiste de piètre qualité, Chien Noir Investigation, le rédacteur de Méchouis a d’ailleurs expliqué avoir trouvé dans cet épisode de chasse au ptérodactyle et la photographie qui lui est associée une source d’inspiration pour ses écrit : « Il me suffisait de dévisager la trogne de ces abrutis consanguins ravis d’avoir effacé de la surface du globe une étoile de la préhistoire pour deviner qu’il y aurait retour de bâton. Quand les Grandes Bêtes ont entrepris leur œuvre de destruction, j’ai immédiatement songé à ce cliché, qui m’indiquait où allait mon cœur, à défaut de ma raison. Malgré les pertes subies, la douleur et le deuil, je comprenais qu’au fond ces Bêtes venues du gouffre de notre stupidité avaient quelque chose à nous apprendre – une leçon fondamentale. »

Mais ce qui fait clairement pencher la balance du côté de la véracité du récit, c’est le mystère régnant autour de l’auteur de ces lignes. Si le texte avait été un canular, il n’aurait pas tardé à sa manifester, à capitaliser sur l’emballement médiatique entourant ce récit devenu tube de l’hiver dans les immensités virtuelles. Ce fut tout le contraire : à part le nom ornant le manuscrit, le vaseux entretien cité, les quelques détails sur sa personnalité dépressive distillés au fil des page et ses interventions claudicantes dans la presse anarchiste, on ne sait absolument rien de lui. Cet « Émilien Bernard », aka « Lémi » (blases fort peu « vendeurs » soit-dit en passant), reste largement inconnu au bataillon, même sur les réseaux sociaux. Un comportement plus que déroutant pour un contemporain de la génération Millénial. À l’instar du Capitaine Flam, tout laisse donc à penser qu’il « n’est pas de notre galaxie ». D’où le caractère décalé de certaines de ses prises de position. Et son apparente proximité avec ces envoyés de l’espace-temps que sont les Grandes Bêtes. Qui se ressemble s’assemble. Et qui s’assemble a une idée derrière la tête – notre destruction.

En tant que paléo-prophète diplômé de l’université de Yokohama, par ailleurs auteur de plusieurs thèses sur le sujet (voir notamment Poésie et transcendance chez les Grandes Bêtes – quand le GOUFFRE se renverse), j’ai consacré de longues années à l’étude de cet ouvrage et en suis venu à la conclusion qu’il est non seulement fondamental pour notre compréhension du passé et du présent, mais également pierre d’achoppement de notre futur si incertain en ces temps difficiles.

L’édition de Méchouis, jusqu’ici publié en fragments dans la presse sensationnaliste bas-de-gamme, répond donc à un besoin vital : faire entrer ce texte dans une dimension scientifique. On sautera avec profit les passages dans lesquels l’auteur se livre à des considérations personnelles fort nébuleuses pour se concentrer sur ceux où il se contente de décrire les événements dont il a été témoin.

C’est seulement ainsi que nous pourrons nous préparer de manière optimum à notre avenir, fille bâtarde de l’anthropocène : la grandebêtocène.

Professeur Xanax de la Muerte, Melun, juillet 2021


« Extrait / Chapitre 3 / « La paix ? »
Collage de Chloé De Lustrac


Pour lire le début et la suite, envoyer un mail à trogne@riseup.net


1 Par contre vous vous démerdez pour lui envoyer ou lui faire parvenir le pognon de fou par mains amies, si pognon il y a, brame-t-il. Sachant qu’un envoi de RIB de sa pomme à votre pomme est aussi possible, si vous ne vous sentez pas de glisser des pièces et des billets de 500 dans une enveloppe. Et qu’outre l’impression à rembourser, l’envoi de chaque exemplaire coûte dans les 3 euros.

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