Queen Kong

Il n’y a pas de consentement sans désir

Ces derniers mois, on a bien avancé. L’écrasante industrie cinématographique américaine est dans un sale état, Catherine Deneuve a enfin montré son vrai visage, les plaintes pour viol et agressions sexuelles ont explosé, le seuil de tolérance face aux comportements sexistes a visiblement chuté et une petite libération de la parole a déferlé du Pakistan au Niger en passant par le Brésil ou le Maroc. La fatigue que nous exprimions dans ces pages il y a quelques mois1 a été (au moins temporairement) chassée par un regain d’enthousiasme et le sentiment vertigineux que le féminisme traversait un moment historique.

Parmi les questions que ces bouleversements soulèvent, il y a celle, épineuse, du consentement. S’il faut incontestablement une mauvaise foi d’actrice pour feindre de ne pas saisir l’abîme qui sépare la séduction du harcèlement, ces moments où une femme dit oui alors qu’elle pense non sont autrement plus équivoques2.

Pourquoi, même en dehors d’une situation d’emprise caractérisée ou de viol avec violence, peut-on consentir en apparence à une relation qu’au fond on ne souhaite pas ? D’abord, évidemment, parce que nombre de femmes ont intégré très profondément l’interdiction de vexer, de blesser voire de mettre mal à l’aise l’homme à qui elles ont affaire3. Elles peuvent aussi redouter d’être étiquetées « allumeuses », vouloir se rassurer quant à leur valeur sur le « marché à la bonne meuf »4, rechercher une tendresse et une écoute dont elles sentent qu’elles ne les obtiendront qu’avec un rapport, s’auto-convaincre que l’appétit vient en mangeant...

Plus largement, dans un environnement où nous est martelé en permanence que notre désir est illégitime, sale et dangereux5, il n’est pas aisé, avant même de l’assumer, de simplement le reconnaître et d’en saisir les limites. S’efforcer de rester à l’écoute du moindre sentiment de malaise et s’y fier, questionner les réelles motivations d’un rapport, peuvent contribuer à se sentir plus sûre de soi.

Parlons maintenant de « consentement actif », c’est-à-dire du fait que pour coucher avec une personne, il ne faut pas seulement qu’elle ne soit pas en train de se débattre et d’appeler à l’aide, mais aussi qu’elle ait visiblement envie d’avoir un rapport. Il peut souvent suffire de guetter chez sa partenaire les manifestations de son désir (attention, breaking news, mais il n’est visiblement pas inutile de le rappeler : lubrification vaginale, dilatation des pupilles, corps détendu, prise d’initiatives, soupirs, gémissements) et de se/lui poser des questions en cas d’absence de ces signes…

Parlons aussi de « consentement renouvelé », c’est-à-dire du fait qu’une personne qui consent au début d’un rapport peut légitimement changer d’avis par la suite. Certes, aucun d’entre nous n’a envie de signer des formulaires à chaque nouvelle pratique sexuelle ou à chaque changement de position pour s’assurer de l’accord des parties impliquées. Mais il existe tant de façons excitantes de demander à quelqu’un s’il a envie qu’on lui fasse ci ou ça, sans rien sacraliser ni pour autant nier, par exemple, le fait qu’introduire un corps étranger dans un autre n’est pas toujours dénué d’implications...

Par exemple, la question « Est-ce que je peux entrer en toi ? » peut devenir joyeuse, orgasmique, complice ; elle peut aussi permettre d’éviter une gêne, un malentendu... ou un traumatisme. Posée même de façon non systématique, elle peut détendre l’ensemble des rapports, simplement en installant l’idée qu’au-delà du consentement, c’est bel et bien de désir qu’il est question.


1 Voir « S’il se passe quelque chose...  », chronique publiée dans le n° 159 de CQFD (novembre 2017).

2 Évoqué entre autres par Blandine Grosjean dans un bel article titré « De la résignation au consentement, le problème de la “ zone grise ” entourant les rapports sexuels » (Libération, 26 janvier 2018).

3 Une fois de plus, cela s’entend surtout dans une relation hétérosexuelle.

4 © Virginie Despentes.

5 Pour illustration, la déclaration de Nathalie Portman à la Women’s March de Los Angeles le 21 janvier : l’actrice a expliqué qu’elle s’était sentie obligée de se construire une image puritaine pour se protéger de la sexualisation à laquelle avait procédé une partie des médias et de son public après la sortie de son premier film, alors qu’elle n’avait que 13 ans.

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