Tourisme

Faux marché provençal pour vrais Chinois

L’industrie ? Liquidée. L’agriculture ? Moribonde. Ne nous reste plus qu’à vendre notre quotidien en souriant ostensiblement. Devenir le parc d’attractions du monde. Dans le Luberon, en juillet dernier, un faux marché provençal a été organisé pour près de 250 touristes chinois.

« Il y avait même des faux joueurs de pétanque  ! » Ils avaient vu les choses en grand, en ce samedi 19 juillet 2014, pour accueillir ces 200 à 250 touristes Chinois en goguette dans le Luberon. En effet, quoi de plus vrai qu’un faux marché provençal pour faire découvrir charme et convivialité légendaires de nos régions ? Embauchez une ribambelle de « marchands », et vous offrez au touriste avide d’authenticité une bonne grosse louche de culture locale. Ah, cette joie de vivre si spontanée, si communicative, ces belles chemises aux motifs originaux en diable, ce petit accent sublimant le chant des cigales…

Un spectacle.

Tout était en toc.

Par Berth.

Il faut bien avouer que quatre ou cinq bus de Noiches déboulant sur la place du marché, ça peut faire tache. Pis encore  : il se pourrait qu’ils soient mal accueillis par certains villageois. Or, les Chinois, ça se chouchoute. Selon une étude de la Direction générale de la compétitivité de l’industrie et des services (DGCIS) et de la Banque de France, le nombre de touristes venant de la République populaire a atteint 1,7 million en 2013 et a fait un grand bond en avant de plus de 23 % en un an. Entre 2009 et 2013, leur présence a même doublé, c’est dire la manne qu’ils représentent. Alors, on leur vend du typique – de pacotille, mais de qualité.

Guillaume – appelons-le Guillaume1 – a fait partie des vrais faux vendeurs réunis au domaine des Andéols, à Saint-Saturnin-lès-Apt (Vaucluse), pour offrir le temps d’une demi-journée les joies d’un marché typique du sud de l’Hexagone. « La branche chinoise de la société Amway, spécialisée dans la vente de produits de beauté, avait décidé de récompenser ses meilleurs commerciaux en leur offrant un voyage en France », explique-t-il. La boîte chargée de l’organisation du séjour aurait contacté le domaine des Andéols pour mettre sur pied une journée consacrée à la production de lavande. Mais, de quelques plants de fleurs violettes, le projet se serait transformé en un vrai faux marché provençal où les touristes pouvaient papillonner de stand en stand.

« Une dizaine de producteurs locaux étaient présents, et nous étions une quinzaine derrière les étals. Attention, on ne vendait rien, les touristes pouvaient goûter, on leur offrait les produits », précise Guillaume. Dans les allées, les vacanciers flânaient du maraîcher au producteur d’huile d’olive ou de savon de Marseille, puis allaient faire un tour en calèche. « Avant l’arrivée des bus, les organisateurs ont fait une revue des troupes, voir si la scénographie était bonne  ! C’était comme pour un spectacle. » Il paraît que les clients pouvaient se faire presser un jus de fruit frais, qu’un boulanger faisait cuire du pain dans un four à bois et que de la lavande était distillée en direct. « Et il y avait même un drone qui prenait des photos ! », se souvient Guillaume.

« A la fin de la journée, nous avons été payés entre 1 000 et 2 000 euros en fonction des stands. Pour une demi-journée de travail, souligne le faux vendeur. On parle d’une facture totale de 400 000 à 500 000 euros. » Le domaine Les Andéols appartient à Olivier et Patrizia Massart, respectivement metteur en scène de défilés de mode et mannequin. On peut y louer des maisons de luxe entre 192 et 1 236 euros la nuit pour deux personnes. Curieux de connaître le coût – et le bénéfice – de cette sino-opération, CQFD a contacté Jean-Philippe Vanthielt, le directeur du domaine. Celui-ci nous a abreuvé de détails, puis s’est ravisé. Il ne souhaite pas communiquer sur le sujet, n’y voyant pas l’intérêt.

Or, l’intérêt, c’est bien simple : il sonne et trébuche. Au point qu’il existe d’autres prestations du même type, à destination de la même clientèle. La société Eternal Provence, dirigée par Henriette Versteeg, propose des mariages VIP pour couples chinois. Ce dans la plus pure tradition provençale, mais pour de faux. « Nous leur organisons une cérémonie dans une chapelle privée, qui ne dépend plus de l’église, comme par exemple celle du Château de la Barben, explique la directrice. Là, un acteur joue le rôle du prêtre et les marie ! C’est un mariage fictif mais, pour nos clients, il a une réelle valeur. L’émotion ressentie, c’est du vrai. »

Alors, intermittents dans la galère, paysans pauvres, savonniers précaires et autres gueux de terroir, vous savez ce qu’il vous reste à faire : gentils autochtones pour touristes en mal d’authenticité.


1 Vous l’aviez compris, ce n’est point son vrai prénom.

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1 commentaire
  • 3 mars 2015, 10:55, par Pasdutoutobligé

    Merci pour l’article.

    Les « mariages » bidons, ça existe depuis les années 90, mais avant, c’était pour les Japonais, avec un vrai curé, même si le mariage de deux non-chrétiens n’avaient bien sûr aucune valeur officielle.

    Petite faute : « Celui-ci nous a abreuvé de détailles » → détails

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