Boum Boum

De la sueur et des basses

par Thierry Guitard

Le dubstep, mélange sauvage entre techno et dub, aura été la bande-son de toutes les vidéos postées par les émeutiers de Tottenham, n’en déplaise au collectif Pièces & Main-d’œuvre qui écrivait dans son dernier opus1 anti-techno que « ici le bruit, n’exprime aucune révolte, mais signe au contraire la reddition de frêles silhouettes humaines devant la supériorité mécanique ». Dont acte. Allons voir tout de même de quoi il s’agit.

En 2007, Libé et son incroyable talent à défricher l’actualité musicale s’extasiait qu’« avec la tecktonik, les classes moyennes ont enfin trouvé leur style et mettent fin au […] duel rock/hip hop qui illustre le clivage riche/pauvre2 ». Au même moment, loin de ces logorrhées middle-class, les caves des banlieues de Londres résonnaient d’un son crade que certains ont vite qualifié de « dubstep ». Un mot valise pour tenter de résumer une culture urbaine mêlant les influences des rappeurs issus du grime (un rap corrosif nourri d’électro), des teufeurs prolos fans du 2-step, des mordus du UK garage (électro anglaise teintée de house garage et de R’n B) et des afros de Brixton entretenant toute la mouvance dub.

Émanation de la bass culture, le dubstep est né dans les appart’ banlieusards à la fin des années 1990 où quelques férus de beats bricolent des boucles de dub agrémentées de grosses basses à te faire décoller le papier peint de la chambre à mémé. Kode9, un des fondateurs du genre, s’intéresse alors de plus en plus aux bidouillages électroniques de sons jamaïcains et anime une émission dédiée au dubstep sur Rinse FM, une radio pirate londonienne (légalisée depuis 2010) qui sera le lieu de convergence de cette jeune scène du ghetto. Des collectifs de DJ se forment dans la droite lignée de la culture sound system, et toute la banlieue de Londres est envahie de maxis, remixes ou freeizm (compiles gargantuesques balancées gratos sur Internet). Les labels se multiplient (Tempa, Soulja, Road, Bingo, Vehicles) s’adonnant aux plaisirs de la diffusion de vinyles sans étiquette, produits de façon artisanale, et ne tirant qu’à de très faibles exemplaires.

Anti-commercial au possible avec son tempo lent, ses infrabasses sales et sombres ainsi que ses constructions rythmiques complexes, le dubstep fait couler, chaque week-end, des litres de sueurs dans de petites salles obscures de Croydon. Cette musique, nourrie par des zikos se revendiquant d’une culture de l’underground et du D.I.Y., parvient ensuite à dépasser les frontières avec Burial qui en deux albums3 popularise le genre et fait poireauter la critique en gardant alors son anonymat pour continuer à mixer peinard durant ses nuits blanches. Night de Benga et Night Bus de Burial, deviennent alors les titres les plus écoutés au fond des bus de nuit, Loefah, DMZ ou Shackleton les ambassadeurs des basses massives, Georgina Cook, la photographe du bouillonnement dubstep et Bass Weight le documentaire de référence. Mais comme dit Burial : « le dubstep n’a pas de chemin balisé, c’est une musique bâtarde, illisible, juste une lumière au loin ». Tout un programme…


1 Pièces & Mains-d’œuvres, Techno : le son de la technopole, Éd. L’Échappée, 2011.

2 Libération, 14 juin 2007.

3 Burial, Sans titre et Burial, Untrue sur le label Hyperdub.

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1 commentaire
  • 11 avril 2012, 20:22, par Rude boy

    Horsepower est une racaille de Croydon qui a bien réussi aussi. Chouette chronique même si aujourd’hui le dubstep est devenu très commercial quitte à le retrouver dans certaines musiques de pub...dommage de pas l’avoir mentionné.

Paru dans CQFD n°97 (février 2012)
Dans la rubrique Culture

Par Mickael Correia
Illustré par Thierry Guitard

Mis en ligne le 10.04.2012