ÉLÈVES MIGRANT.E.S DANS LE 93

Classes vides, enfants en rade

Ubuesque ! En Seine-Saint-Denis, des enfants attendent des mois avant de pouvoir rejoindre leur classe. Pendant ce temps, leurs professeurs font cours dans des salles presque vides. Alice Groult, enseignante au collège Jean-Moulin d‘Aubervilliers, revient pour CQFD sur la scandaleuse situation de ces classes d’accueil.
Par Marine Summercity.

Qu’est-ce qu’une classe d’accueil ?

« Il s’agit d’un dispositif spécial pour les enfants qui arrivent de pays étrangers (Maghreb, Proche-Orient, Asie, Afrique noire, etc.) et qui ont besoin d’apprendre notre langue avant de pouvoir suivre une scolarité en classe ‘‘ traditionnelle ’’. À la clé, des cours de français bien sûr, à raison de 10 à 12 heures par semaine. Mais aussi des équipes motivées pour accueillir des enfants souvent marqués par un parcours migratoire difficile. Et une réflexion sur l’intégration de ces élèves au sein d’autres classes. »

En Seine-Saint-Denis, ce dispositif ne fonctionne pas comme il devrait ?

« Que ce soit à Aubervilliers, Stains, Saint-Denis ou à Montreuil, nous dressons aujourd’hui un même constat : les classes d’accueil dans les collèges du 93 sont quasiment vides. Et les élèves migrant.e.s qui devraient y être inscrits attendent depuis plusieurs mois chez eux. Ce n’est pas nouveau, malheureusement. L’an passé déjà, un mouvement de grève des professeurs de classes d’accueil avait été lancé, pour dénoncer cette situation scandaleuse. Il s’agissait de protester contre le délai d’attente imposé aux enfants avant leur scolarisation – de six à huit mois en moyenne. Et de s’opposer à la volonté de l’institution scolaire de les transformer en ‘‘ dispositif UPE2A ’’ (Unité pédagogique pour élève allophone arrivant), lequel signifie moins d’heures et de moyens pour les élèves. Ce dispositif fait aussi voler en éclats la notion de groupe-classe, pourtant essentielle dans la cohérence pédagogique. »

En filigrane se dessine un affrontement entre deux visions ?

« Des tenants d’une pédagogie nouvelle posent en effet que ces élèves devraient directement rejoindre les classes ‘‘ ouvertes ’’. C’est-à-dire qu’ils suivraient certains cours en classe traditionnelle, sans que des moyens supplémentaires ou des formations spécifiques ne soient accordés à leurs professeurs. D’autant plus illusoire qu’il s’agit de collèges placés en REP ou REP+ (Réseaux d’éducation prioritaire, concernant les établissements dont beaucoup élèves sont issus de familles en difficulté financière), avec des effectifs déjà lourds. À en croire le discours institutionnel, il ne s’agirait pas de faire des économies sur le dos des élèves migrant.e.s. Ni de profiter de ce que leurs familles ne peuvent de toute évidence pas réagir comme le feraient des parents du centre-ville bourgeois de Paris – oh non, surtout pas ! Ce même discours fait carrément passer les professeurs hostiles à cette triste évolution pour des réfractaires à l’éducation pour les migrant.e.s version XXIe siècle. Nous n’aurions rien compris, en somme. Et peu importe les multiples ‘‘ couacs ’’ constatés. À l’image de cette UPE2A qui a ouvert en catastrophe au milieu de l’année dernière. Pour salle de classe, le foyer des élèves. Et pour enseignante, une professeure contractuelle non formée... »

Vous aviez pourtant obtenu quelques garanties après le mouvement de grève ? « Nous pensions en effet avoir été un peu entendus, après trois audiences auprès des grands pontes de l’inspection académique. D’autant que nous n’étions pas les seuls à nous inquiéter : le Défenseur des droits avait lui aussi fait connaître ses pré-occupations à propos du temps d’attente. Et puis, on nous avait promis quelques ouvertures de classe – c’était déjà ça, même s’il s’agissait de contrats de 20 heures, et non 26. Bref, nous avons cru que le droit à une même éducation pour tou.te.s, quel que soit le pays d’origine, n’était pas totalement enterré. Erreur ! À la rentrée, la plupart d’entre nous ont découvert des classes quasiment vides. À l’exception des maintiens (élèves arrivés en cours d’année dernière), presque aucun nouvel enfant n’a été affecté à nos classes. Alors même que les directrices des Centres d’information et d’orientation font état – çà et là – de chiffres aberrants : dans certaines villes, près de 100 enfants auraient passé les tests pour être scolarisés et se trouveraient sur liste d’attente. Ils ne rejoindront les salles de classe qu’en février ou mars ! Ils se retrouvent donc à attendre chez eux (quand il y a un ‘‘ chez eux ’’) pendant que nous ne faisons cours que pour cinq ou six élèves. C’est complètement idiot. »

Vous en avez parlé aux représentants de l’institution ?

« Bien sûr. Mais l’inspection académique reste muette. Et ne répond pas à notre proposition de former un groupe de travail pour aider le personnel administratif dans l’affectation des élèves. Elle se contente d’évoquer un ‘‘ changement de personnel ’’ et prétend que ‘‘ la nouvelle inspectrice ’’ doit prendre connaissance des dossiers. Une justification légère, voire grotesque. Mais qui révèle le mépris total de notre hiérarchie quant à la scolarisation des élèves étrangers, à leur accueil et à leur intégration. »

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Paru dans CQFD n°159 (novembre 2017)
Par Noël Tardif
Illustré par Marine Summercity

Mis en ligne le 15.01.2018