Cauchemar minier

Châteaux en Bretagne

Pour toutes sortes de besoins industriels, la pénurie de sable guette1. Dans la baie de Lannion (Trégor, 22), c’est une dune sous-marine qui attise les convoitises du groupe Roullier, leader européen des fertilisants. Mais une forte opposition locale, menée par plusieurs associations et collectifs d’habitant.e.s, dont « Le Grain de sable dans la machine » (qui répond ici aux questions du Chien rouge), est en train de lui couper l’appétit.
Par Etienne Savoye.

Où en est le permis d’extraction de sable en baie de Lannion ?

« La suspension de l’extraction a été obtenue par une forte mobilisation en septembre 20162. Des recours en justice, les élections présidentielles et enfin les mois d’été pendant lesquels la Compagnie armoricaine de navigation (CAN), filiale du groupe Roullier chargée de l’extraction, n’est pas autorisée à travailler, ont ensuite compliqué la reprise. Passées ces échéances, et comme tous les recours juridiques ont été rejetés, rien n’empêche théoriquement une reprise des travaux. Néanmoins, le préfet, qui a le dernier mot pour l’autoriser, a déclaré que ‘‘ les travaux ne commenceront pas tant qu’il n’y aura pas d’apaisement ’’. »

Quel est l’intérêt de ce sable pour le groupe Roullier ?

« Roullier est une multinationale bretonne qui a fait sa fortune sur les produits d’amendement des sols, notamment grâce à une ressource maritime dont l’exploitation est désormais interdite parce qu’elle a pratiquement disparu : le maërl. Il se trouve que le sable coquillier partage une propriété avec le maërl : il désacidifie les terres agricoles. Certaines terres sont plus acides que d’autres et des pratiques agricoles, notamment l’usage d’intrants chimiques, aggravent ce phénomène. Le sable de la dune du Crapaud, convoité ici, est précisément très riche en débris coquilliers, donc très rentable. »

Existe-t-il un front uni des associations et des élus ?

« Non, mais il y a un consensus très large autour du refus de ce projet : élus de tous bords, pêcheurs, commerçants, diverses associations3... Même une partie des agriculteurs ont dénoncé les pressions exercées par le lobby extractiviste. Sur toute la côte, de la baie de Lannion jusqu’à Morlaix, il est difficile de dénicher qui que ce soit de favorable au projet. Et plusieurs associations et collectifs ont vu le jour pour s’y opposer. La composition de la lutte est très large et induit donc une diversité de stratégies et de points de vue, tant sur les formes qu’elle doit prendre que sur ses enjeux : certains militent pour un déplacement de l’extraction, d’autres pour un aménagement, d’autres pour son abandon pur et simple, et d’autres encore souhaitent politiser le conflit en s’attaquant au désastre extractiviste dont Roullier est partie prenante. Ceci amène un nombre important de désaccords, mais il reste heureusement des espaces de débats, des moments de composition et des actions qui nous rassemblent. »

La mobilisation est-elle assez forte pour faire reculer Roullier et le ministère de l’Industrie ?

« Elle l’a déjà été pour suspendre l’extraction seulement deux jours après son début. Le PDG de la CAN a précisé : ‘‘ On a été surpris par la mobilisation. Cela nous a marqués, surtout l’intrusion sur le site de Pontrieux [usine appartenant au groupe]. Le comportement de ces manifestants nous a poussés à créer un moratoire. ’’ Après avoir dû faire garder des tas de sable par la gendarmerie mobile – ce qui n’a pas empêché qu’une partie du sable soit remise à l’eau lors d’une journée d’action –, les préfets des Côtes d’Armor et du Finistère sont arrivés à la même conclusion. Il ne faut néanmoins pas se leurrer : ils n’attendent probablement qu’un relâchement de notre vigilance pour relancer la machine. Nous restons donc mobilisés pour montrer qu’une reprise des travaux ne pourra pas se faire paisiblement. »

Quels sont vos principaux reproches à l’encontre de la procédure suivie ?

« Ils sont innombrables ! L’enquête publique a recueilli plus de 80 % d’avis défavorables mais, ô surprise, le rendu a été favorable ! Il s’agit clairement d’un leurre pour faire passer la pilule. Les décisions sont prise hors sol par des bureaucrates et les entreprises, à grand renfort d’experts, de professionnels de la communication, méprisant les réalités locales et les habitants – humains et non humains. »

Après le rejet des recours juridiques, quels modes d’action allez-vous privilégier ?

« Cette opinion n’est pas partagée par tous, mais le juridique n’est pour nous qu’un élément parmi d’autres. Nous pensons que c’est la diversité et la multiplicité des formes d’un mouvement de lutte qui permet la victoire. Nous allons continuer sur cette voie en espérant que se poursuivront les manifestations sur terre et sur mer, les occupations, les actions contre Roullier, les clins d’œils médiatiques, etc... »


1 Voir Le sable : enquête sur une disparition, Denis Delestrac, 2011, Arte.

2 Malgré de récentes dénégations, ce permis avait bien été accordé par Macron alors qu’il était ministre de l’Économie.

3 Entre autres : Le Peuple des dunes en Trégor, canal historique proches des élus, et Le Peuple des dunes 22, né d’une scission avec le premier.

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