La chronique littéraire de Noël Godin.
Gaffe, gaffe, les mimiles, le livre du mois, Voyage en misarchie – Essai pour tout reconstruire d’Emmanuel Dockès (aux éditions du Détour), est charpenté par un authentique professeur de droit. Hou là là !, pourrait-on s’exclamer au vu de l’actualité. S’agirait-il d’un bachi-bouzouk qui, lorsqu’il n’enseigne pas (lui, c’est à l’université Paris-Nanterre) et quand il ne coordonne pas des « propositions de code du travail », s’habillerait ni vu ni connu en justicier masqué pour casser de l’étudiant indocile (...)
En mai 68, dans les métropoles en éruption, certains anarcho-enragés décrétaient la mort du cinéma. Au profit du cinéma de la vie. De la « vraie vie » enfin déchaînée. À même donc de reconcevoir le monde ludiquement, féériquement, burlesquement, libidineusement. Y compris le cinéma. Le cinéma qui n’était déjà plus qu’une médiation très louche entre les aspirations secrètes des esclaves salariés à la jouissance radicale et leurs veules résignations. Assurément, le rôle du cinéma, comme celui des autres psychotropes (...)
Dans une de ses enflammantes conférences de 1887, William Morris précise que « le changement viendra quand les hommes désireront un nouveau monde qu’ils croiront possible ». Et il fait comprendre que « l’utopie n’est pas un château en Espagne, mais une projection mentale capable d’advenir à l’endroit même où l’on se trouve grâce à la puissance du désir ». Frigoussé par Florent Bussy, un prof de philo « zindigné » (c’est le titre de la revue où il sévit) à qui l’on doit une sympatoche Critique de la raison (...)
7 décembre 2018. À Bruxelles aussi, où ça va regileter jaune demain, on baigne en plein roman-feuilleton émeutier. Comme on annonce des charges de cavalerie sur les manifestants, des gusses invitent ceux-ci à se munir de billes métalliques à lancer sous les sabots des canassons de la répression. Effet rodéo d’enfer garanti. Et bien sûr perplexité de l’ami farouche des bêbêtes que je suis. Pour désamorcer les charges à cheval moins belliqueusement, d’autres camerluches proposent qu’on se pointe aux (...)
Même s’il se laisse présenter comme un expert en « humanités environnementales », le professeur sorbonnard Pierre Madelin n’est pas un péteux. Au Chiapas où il vit sa vie, il a fricassé un essai d’écologie utopisto-libertaire assez choupaïa, Après le capitalisme, que les éditions rebelles québécoises Écosociété ont pris en main. L’ouvrage ne crée pas la surprise mais récapitule avec une clarté secouante les impasses actuelles et les moyens de les court-circuiter. *** « Nous savons que la catastrophe climatique (...)
*** En guise de livre-cadeau super bandant/mouillant à chaparder dans les triviales Fnac et cie, je suggère Les Hors-la-loi de l’Atlantique (éd. Seuil, 2017). Une synthèse hyper jouissive des écrits naufrageurs du professeur dissident de l’université de Pittsburg Markus Rediker sur les divers types de desperados des mers ayant couru la grande bordée entre le XVIIe et le début du XIXe siècle : marins mutinés, proscrits politiques, esclaves marrons, passagers clandestins et bien sûr pirates. Car, pour (...)
Petite dérade à travers quelques parutions récentes titillées par l’envie de réédifier le monde. *** Alexandre Chayanov : pour un socialisme paysan , éd. Le Passager clandestin, collection Les Précurseurs de la décroissance. Avant d’être zigouillé par la police politique soviétique en 1937, l’économiste agraire Chayanov jette les bases d’un développement méthodique de « l’exploitation paysanne à base familiale » en envoyant à dache les catégories clés du capitalisme (salaire, intérêt, rente, profit) et la (...)
La réédition, chez Perrin, d’Histoire du saint-simonisme, frigoussée en 1931 par le « membre de l’Institut » Sébastien Charléty (l’homme du stade !) et ressortie en 1965, a l’immense mérite de permettre d’être définitivement dégoûté par le Saint-Simon-circus en toute connaissance de cause. Le compassé préfacier de l’exhumation, l’agrégé d’histoire Jean Lebrun, ne s’y trompe d’ailleurs pas en présentant sans rire le socialisme utopiste industriel à la Saint-Simon-enfantin comme « une anticipation du macronisme », (...)
Si les nouveaux livres ayant trait à l’utopie foisonnent, ce n’est pas toujours pour le meilleur, mille marmites ! Pas moyen, en l’occurrence, d’examiner le point de vue à ce sujet du grand expert suisse en littératures conjecturales Marc Atallah sans avoir froid dans le dos. Dans le somptueux ensemble qu’il dirige, Souvenirs du futur (éd. PPUR), l’auguste dirlo de la Maison d’Ailleurs part du principe que « les systèmes utopiques ne doivent pas être acceptés comme la description de ce qui nous attend (...)
Assez curieusement, trois des principales clés de voûte du système autoritaire-marchand bénéficient d’une fantastique indulgence de la part de ses critiques actuels les plus démonstratifs : le goût du sacrifice enjoué, le fanatisme sportif et l’abêtissement familial. On sait que la mise au pilori de la famille bourge, conservatoire des plus gluants réflexes conditionnés au même titre que la religion, fut pourtant l’un des axes insurrectionnels de mai 68. Peu de brûlots du jour en tiennent compte. Ou alors (...)