Poubelle nucléaire

Bure en « été d’urgence »

Enfouir des déchets radioactifs sous les maisons, c’est plus compliqué que les balancer à la mer – ce que faisait la France jusqu’en 1982. Parce qu’une contestation internationale a fait reculer les pratiques d’immersion, l’industrie nucléaire parie désormais sur l’isolement de quelques populations rurales pour cacher ses encombrants rejets. C’est tout l’enjeu de la lutte autour du bois Lejuc qui secoua la Meuse – et au-delà – cet été 2016.

L’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) prévoit d’enfouir à Bure (Meuse) ses résidus les plus dangereux, soit 99 % de la radioactivité française. Un pari à la docteur Folamour appuyé sur une domination de classe la plus fourbe et déguisé en prouesse technologique.

Par Etienne Savoye.

L’agence a été repoussée d’à peu près partout où elle est passée. Elle a alors trouvé une parade, rendue possible par la loi Bataille (1991)  : se donner un alibi scientifique et distribuer beaucoup d’argent. Un « laboratoire de recherche souterrain de Meuse et Haute-Marne » a vu le jour, véritable cheval de Troie du projet. Depuis quinze ans, il illumine les nuits au milieu des champs et des ingénieurs y arpentent 1,5 kilomètre de galeries « scientifiques »… à 500 mètres de profondeur. D’autres infrastructures de la filière nucléaire s’installent progressivement  : Syndièse1, les archives d’Areva, des plateformes de stockage de matériel… Le Groupement d’Intérêt Public (GIP), un fond spécial, arrose aujourd’hui de 30 millions d’euros par an les deux départements. L’Andra accueillent les enfants toute l’année dans ses salles d’expositions pour parler indifféremment de la nature, du nucléaire et des super-héros. Dans l’expo La radioactivité, de Homer à Oppenheimer, on a notamment appris que Superman, Spiderman et Hulk avaient profité des bienfaits de l’atome pour acquérir leurs super pouvoirs…. Ou comment séduire et créer l’impression que plus rien ne s’oppose à rien. La résignation l’emporte dans la population. Tout est sous contrôle.

Pourtant, depuis plus d’un an, réunions de lutte et chantiers se sont multipliés. De nouvelles personnes sont arrivées. Mais l’hiver reste long, rigoureux et les tentatives de blocage des premières prospections archéologiques autour du laboratoire ont vite avortée. Début juin, quelques opposants sont revenus d’une balade en forêt le cœur serré après être tombés sur de sinistres vigiles protégeant des machines qui s’activaient. Le bois Lejuc a été cédé à l’Andra en juillet 2015 par la commune de Mandres-en-Barrois, voisine de Bure par un vote à bulletin secret lors d’un conseil municipal express tenu à 6 h du matin. La cession du bois est depuis contestée devant les tribunaux par une coalition d’habitant.e.s et d’associations. Cette zone est pressentie pour accueillir les puits de descente du personnel, du matériel, ainsi que pour évacuer les gaz radioactifs et les verses des 300 kilomètres de galeries augurées de Cigéo (Centre industriel géologique de stockage), le nom donné à la poubelle nucléaire. L’Andra avait-elle réussi son pari de pacification alors même qu’elle franchissait la ligne rouge  ? Un élan d’énergie collective allait lui donner tort. En urgence, soixante personnes se retrouvent à l’aube avec outils, combinaisons, masques et caméra. L’hélicoptère de la gendarmerie vrombit au-dessus des têtes. On expérimente les déplacements en groupe et en chansons, les tranchées, les premières mottes volant sur une coalition nouvelle de gendarmes et vigiles armés. Le 12 juin, un texte décrète « l’été d’urgence ».

En attendant les renforts, il ne faut compter que sur ses propres forces : associations, habitant.e.s, opposants d’ici et d’ailleurs. Le fonctionnement est aléatoire. On parle, du bout des lèvres, d’occupation et de sabotage. Ces mots font peur, car les dire maintenant, c’est ouvrir des perspectives non expérimentées ensemble. Il faut apprendre à se faire confiance. Dimanche 19 juin, un pique-nique de 200 personnes dans le bois Lejuc devient « interminable » et tourne à l’occupation. S’en suivront dix-huit jours intenses, de beaux temps forts sous la voûte étoilée, des échanges à n’en plus finir pour refaire le monde, des concerts improvisés, des potagers aménagés…

C’en est trop pour l’industrie nucléaire. L’expulsion a lieu le 7 juillet. Les barricades ne tiennent pas plus d’une heure. Rage et tristesse seront le carburant d’une manif de réoccupation alors qu’une compagnie de gendarmes est maintenant stationnée pour un mois aux entrées du bois et patrouille en forêt. Sur les routes des villages aussi, les rondes, les contrôles et les survols d’hélicoptère se multiplient. Ce 16 juillet, la Maison de la résistance et le village de Bure débordent pourtant de voitures, de camions, de tentes. Les soutiens viennent de tout le pays, en particulier des environs de Notre-Dame-des-Landes. Dans l’après-midi, un cortège déborde les lignes ennemies et pénètre dans le bois au son de l’accordéon. Au bout de trois jours, face aux gendarmes épaulés par des vigiles qui jouent les commandos, blessant plusieurs occupant.e.s, la situation n’est plus tenable. C’est le repli.

Cependant, le 1er août, le tribunal de Bar-le-Duc confirme l’illégalité du défrichage du bois, préalable à l’édification du mur qui encercle le tiers sud de la forêt. Une première victoire juridique qui donne de l’air. Des paysans mettent à disposition des parcelles, sur lesquelles sont construites des vigies : cahutes de palettes s’élevant modestement au-dessus du sol. Le rapport de force bascule et le départ du directeur du laboratoire, relevé de ses fonctions, est célébré avec cotillons et vin mousseux devant les grilles du centre.

Le 13 août, ô surprise, la gendarmerie et l’Andra se retirent du bois Lejuc, « pour ne pas prendre le risque d’affrontements ». Environ quatre cents personnes, parties à pied de Mandres, vont abattre un à un les pans de mur en béton armé avec des cordes et des pioches : 3 800 tonnes mises à terre en deux jours sur près d’un kilomètre. Loin du mépris et de l’anonymat dans lesquels l’Andra voulait cloisonner les potentialités de lutte – et alors que les premiers procès arrivent –, quel plus beau geste pour casser la résignation que celui de faire tomber un mur et de libérer une forêt ?

L’été d’urgence en cinq liens :

•« Mais vous, vous proposez quoi ? »

•« Il faut avoir créé un désert agricole pour bâtir un cimetière du nucléaire ».

•« À Bure, nous n’irons plus aux champignons ».

•« Recueillir une goutte de soleil ».

•« Et nous avons dansé sur les ruines du vieux monde ».


1 Usine pilote de raffinage de bois en diesel de synthèse, créée par le commissariat à l’énergie atomique. Engloutira 90 000 tonnes de bois/an pour produire l’équivalent de la consommation de 3000 voitures.

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