Au cinéma

Black Indians en Louisiane : « Nous ne plierons pas ! »

De la patiente fabrication des costumes jusqu’aux parades jubilatoires du Mardi-Gras du quartier Treme (Nouvelle-Orléans), en passant par les joutes chantées façon griots mandingues… C’est une flamboyante culture de réprouvés qui habite le film documentaire Black Indians 1.
Photo Lardux Films

Ça commence par une rumeur : les Indiens arrivent ! On en frissonne, à cause de la réputation autrefois sulfureuse de ces gangs bariolés, dont les éclaireurs s’affrontaient parfois jusqu’au sang quand deux cortèges se croisaient. Pourtant, l’enfant veut en être. Parce qu’il en prend plein les yeux et les oreilles. Et parce qu’il a vu depuis toujours le quartier vrombir d’excitation à l’approche du carnaval. Il a vu les femmes et les hommes, les vieux et les ados coudre les costumes de perles et de plumes pendant des heures et des mois durant. Entre rires et longues tirades d’une mémoire vive, d’une rage transcendée, à la fois souterraine et fière d’être là. Contre vents et marées.

Le rituel festif des Black Indians vient de loin, puisque son alter ego, l’Indian masking, était déjà interdit par le Code noir de 1724. Pendant longtemps, les Noirs n’avaient pas le droit de participer au Mardi-Gras de la Nouvelle-Orléans. Aujourd’hui plus que jamais, malgré l’ouragan Katrina et la spéculation immobilière, plus de quarante tribus font vivre ce carnaval de quartier célébrant à la fois les racines africaines et les peuples amérindiens qui accueillirent les esclaves en fuite. « Nous sommes le peuple de la transe », se vante un grigou tout ridé. Les rythmes de ce défilé afro-amérindien viennent des chants d’esclaves et de prisonniers. Ils ont irrigué le jazz, le rock, le funk…

« Nous ne plierons pas, nous ne voulons pas » est le cri de ralliement des tribus. Il dit l’esprit de résistance des dépossédés. « Des gens arrivent chez toi, te prennent tout, puis font des lois pour dire que tu n’as pas le droit de reprendre ce qui était à toi », scande Big Chief Montana. Jo Béranger, l’initiatrice du projet de ce film, parle d’« hybridation métaphorique » des identités africaine et amérindienne.

Voilà un film qu’il faut prendre le temps de savourer, tant il monte doucement en puissance. Sur Congo Square, ancien marché aux esclaves, puis berceau de la tradition Black Indians, l’autoproclamé révérend Goat Carson chante sous les magnolias : « Ces arbres sont notre église. » Portée par les percussions, une dame invoque l’esprit guerrier d’Oggun en se tournant vers les quatre points cardinaux. Au milieu de sa mélopée, elle honnit l’esclavage et le capitalisme. Un arc carnavalesque va de la New Orleans jusqu’à Rio de Janeiro en passant par Cuba. On y croise partout la spiritualité yoruba. «  On dit d’ailleurs que la Nouvelle-Orléans c’est la pointe nord des Caraïbes, raconte le photographe Bernard Hermann2. C’est un peu comme Marseille, qui pendant très longtemps est restée tournée vers les Grecs et le monde méditerranéen, pour ignorer complètement ce qui se passait au nord : une autre planète. »

Big Chief David Montana, fondateur de la tribu autoproclamée Washitaw Nation, raconte ses origines  : «  J’ai dans mes veines du sang africain, français, cubain et cherokee. La nation Washitaw peuplait les rives du Mississipi, d’ici jusqu’au Canada. » Son oncle Tootie Montana est une légende. Il est mort terrassé par une crise cardiaque en plein conseil municipal, devant lequel il était venu plaider la cause du carnaval, exigeant l’arrêt des violences policières contre la joie du peuple noir.

Big Chief et sa femme Sandra sont venus à Marseille en compagnie de Hugues Poulain, l’un des réalisateurs de Black Indians. Après la projection au cinéma le Gyptis, on se donne rendez-vous sur La Plaine. Katrina, ici, toutes proportions gardées, c’est la requalification du quartier par la mairie. « Tu as vu les dégâts ?  » Big Chief répond en chantant, tambourin à la main : «  Nous ne plierons pas !  » Puis redevient sérieux pour parler de chez lui : « Un gamin noir de Treme entré en prison pour avoir fumé un joint y est resté dix ans. Un gamin blanc aurait eu un simple rappel à la loi. À Angola – ces salauds ont choisi un nom africain pour nommer leur taule ! –, il n’y a pratiquement que des Noirs. »

Ici aussi, les flics menacent le carnaval ? Alors l’enthousiasme doit se réaffirmer : « Mardi-Gras, c’est un jour où tu te sens libre. Un jour où tu sais que tous les autres jours devraient être comme ça.  »

Bruno Le Dantec

1 Black Indians, film de Jo Béranger, Hugues Poulain et Édith Patrouilleau, Lardux films. Sortie en salles le 31 octobre 2018.

2 Bernard Hermann, Bons temps roulés, Albin Michel, 2015.

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