Dossier : La mort qui tue

Zombies de tous les pays, unissez-vous !

Ils pullulent. Râlent. Tendent leurs bras décharnés et claquent de la mandibule à deux centimètres de nos chairs juteuses. On ne compte plus les séries qui revisitent le genre des zombies. En annexe du dossier « La mort qui tue », CQFD propose à ses lecteurs une virée horrifique en compagnie des morts qui marchent.

Le 1er octobre 1968 sortait sur les écrans étasuniens La Nuit des morts-vivants de Georges A. Romero. Quelques mois plus tôt, le pasteur Martin Luther King Jr. était assassiné à Memphis (Tennessee) tandis qu’à un océan de là, les G.I. en guerre contre le Front national de libération du Sud Viêt Nam massacraient les habitants du village de Mỹ Lai. Ouvertement ségréguée et impérialiste, la société U.S. de cette fin des années 60 fournit le carburant à Romero pour réactiver le mythe des morts-vivants issu du vaudou haïtien. Ce n’est pas pour rien que Ben (Duane Jones dans la vraie vie), héros de La Nuit des morts-vivants, est un « nigger » et qu’il se fera « incidemment » refroidir à la fin, non pas par un zombie anthropophage, mais par un blancos, conseillé par un milicien, cartouchière à l’épaule : « Vas-y, tu vises bien la tête entre les deux yeux ». Dommage collatéral. Bien des guerres après, on sait le succès de la formule.

Automne 2014. Autres temps, autres mœurs ? À peine. Le mur tombé, on nous avait promis la paix mondialisée. Résultat : la mort en sourdine n’a jamais été autant présente. Désastre écologique, peur pandémique, contagion terroriste : nos trouilles planétaires servent à nouveau de ferment pour les réalisateurs de séries adeptes du genre des morts-vivants. Avant de se faire exploser le citron, les bouffeurs de chair fraîche font exploser le box-office. 17,3 millions de gogos scotchés dès le lancement de la cinquième de saison de The Walking Dead. Dans ce western des temps modernes où les Indiens ont troqué leur peau rouge pour des squames putréfiées, une poignée de cow-boys étêtent de manière industrielle des armées de zombies toujours plus nombreuses. À d’autres moments, ils s’entretuent avec des bandes rivales de survivants aux intentions grossièrement diaboliques. Dans le camp du bien, Rick Grimes, ex-flic et héros de la série, leader pathétique quand il cherche à mettre une morale sur ses faits et gestes tous coulés dans une posture guerrière de-la-mort-qui-tue. Récit de l’errance et d’un darwinisme hypertrophié, The Walking Dead revisite peut-être le genre mais pas celui d’une Amérique toujours aussi cynique où bien avant le zombie, l’ennemi principal de l’homme reste l’homme.

Journaliste à The Gardian, le britannique Charlie Brooker a réalisé en 2008 la mini-série Dead Set1. Le pitch : tandis qu’une poignée de graines de star d’une émission de téléréalité (The Big Brother Show) offrent leur intimité dans un loft vidéo-surveillé, le monde du dehors subit l’attaque de hordes de zombies. Méchante, perverse, gore, la caméra de Brooker se plaît à nous paumer entre fiction et réalité, à jouer avec les chausse-trappes de la téléréalité. Débarrassés de toute démarche bancale, les morts-vivants se muent à la manière de fans hystériques venus assister à leur dernier concert. Cernant le studio télé où sont retranchés la poignée de figurants, ils hurlent, tambourinent, exultent. À l’intérieur des murs, la paranoïa gagne les humains. Le huis clos déploie sa tyrannie. Le carnage ni ne tarde ni ne déçoit. Brooker filme les yeux étonnamment purs de zombies devenus maîtres des lieux. En surplomb, inatteignables et désormais inutiles, les yeux aveugles des caméras dominent un néant acquis à la bestialité. The show is over.

La caméra du Français Fabrice Gobert a choisi un autre registre pour donner corps à ses zombies. Beaux comme des sous neufs, les morts-vivants de la série Les Revenants2 ne sont pas du genre à donner dans le cannibalisme. Et s’ils ont une fringale permanente, un simple casse-dalle suffit à calmer leur estomac. À la fois incarnés et fantomatiques, les revenants bousculent avant tout le ronronnement des vivants par leur présence inexpliquée. Et leur volonté presque ingénue de reprendre place dans leur foyer. Du coup, c’est tout le village savoyard qui se retrouve fracturé par de nouvelles lignes entre ceux qui accueillent le miracle et ceux qui souhaiteraient renvoyer ces morts qui marchent vers leur ancien territoire de relégation. Habile dramaturge, Gobert profite de la confrontation surnaturelle pour mettre en abîme un tissu urbain aseptisé, des enclaves pavillonnaires figées, des vies atomisées en recherche de sens. Forêt piégeuse, animaux suicidaires, eau du barrage évanescente : ces morts qui reviennent pourraient bien être le témoin d’alarme d’une profanation écologique irrémédiable. D’un profond désordre dans l’ordre des choses.

Last but not least, si Ken Loach avait dû tâter du zombie, il aurait réalisé la série anglaise In The Flesh. L’action se passe à Roarton, bled fictif du comté du Lancashire, milieu rural et prolo. Le jeune Kieren Walker, suicidé pour cause d’homosexualité douloureuse et sorti de terre en mort-vivant enragé au moment de The Rising, réintègre son foyer après avoir été « dézombifié » grâce à un traitement médical. Une piquouse quotidienne dans la nuque et Kieren ne pensera plus à bouffer sa voisine au petit déjeuner. Astucieusement nommé « Syndrome de décès partiel », l’épidémie de zombie est peut-être un mal curable mais tout le monde ne voit pas d’un bon œil ce retour dans les pénates familiales d’anciens rotters (pourris). C’est notamment le cas de la milice un poil facho Human Volunteer Force pour qui la devise « un bon zombie est un zombie mort » est toujours d’actualité. Exclusion, racisme, crispation communautaire, le jeune réalisateur Dominic Mitchell profite du genre pour titiller avec une justesse étonnante nos maux contemporains.

Avant d’être des morts qui reviennent, les zombies sont des « autres » par excellence. Une sous-race bien commode qui vitrifie et recompose les groupes humains à la faveur de calculs de survie et de rivalités assassines. Quand les morts rappliquent, c’est toujours pour exiger des comptes et jeter une lumière crue sur nos instincts de bassesse.


1 Du même réalisateur, on matera avec une fièvre décomplexée Black Mirror, satire féroce de nos temps technologiques.

2 Pour un décryptage plus complet de la série, cf. le numéro un de la revue semestrielle Jef Klak, « Marabout », disponible en librairie.

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