Pollueur-payeur

Une décharge au Var-west

Que reproche-t-on au Groupe Pizzorno environnement ? D’avoir dégueulassé la décharge publique d’une commune du Var avec des déchets toxiques, à deux pas d’un site naturel classé. Pollution, malversation : comment s’en foutre plein les poches… Et se faire condamner.

Au départ, le plan est simple : une ville, sa décharge, des ordures, on enfouit, on recouvre de mâchefers – résidus de l’incinération des ordures ménagères –, et tout le monde est content. Tout le monde ? Non. Michel Tosan, à l’époque membre de l’opposition municipale et aujourd’hui maire écologiste de Bagnols-en-Forêt (Var), n’a guère apprécié que le Groupe Pizzorno environnement (GPE) salope sous-sol et nappe phréatique. Suite à sa plainte de décembre 2007, le tribunal de grande instance de Draguignan a, le 15 décembre dernier, condamné le GPE – et deux de ses filiales, la SMA et la Sovatram – à verser plus d’un million d’euros à l’État et à la commune de Bagnols1.

Depuis 1976, Pizzorno sévit en région Paca sur le segment « poubellistique ». Cette entreprise s’occupe, notamment, de l’acheminement et du stockage des déchets en décharge. Mais, d’après Michel Tosan et les surveillances des huissiers et gendarmes, le tri de ces déchets en fonction de leur « valeur » n’est pas si sélect. Gravats de chantiers, boues de station d’épuration… on a retrouvé toute une gamme de cochonneries, qui n’avaient rien à y faire, dans le centre de stockage des déchets non dangereux de Bagnols (CSDND). Les lois environnementales ne badinent pas… à condition de les faire jouer.

Mais, plus vicieux que ce « tri » fourre-tout, ce sont les tonnes de mâchefers non valorisables entreposés dans la décharge qui produisent des lixiviats2 charriant de l’arsenic et des métaux lourds vers les nappes et cours d’eau alentour. Entre autres dans la rivière voisine, le Ronflon, dont la faune et la flore sont protégées. GPE a ainsi sciemment menti sur le traitement de ces déchets, en dissimulant quantités et degré de nocivité. De juin 2004 à novembre 2007, à raison de huit camions par jour (40 000 tonnes de déchets rien que pour l’année 2005), Pizzorno a non seulement ravagé les

par Lindingre

sols varois dont il exploitait la concession publique, mais aussi falsifié les documents justificatifs de ces déchargements polluants, tant sur leur origine industrielle que sur leur quantité. Par ailleurs, l’interdiction réglementaire3 de stocker des déchets ne provenant pas du Var n’a pas empèché GPE de facturer aux usines du département voisin ses services. Et Var-Matin de rappeler en juillet 2008 : « Les métiers de l’environnement brassent beaucoup d’argent. Et rapportent bien. De soixante à quatre-vingts euros la tonne pour la mise en décharge, voire plus, en moyenne ». Les mâchefers étaient ainsi stockés gratuitement, alors que GPE les facturait tranquille à ses producteurs.

Pas facile, pourrait-on penser, de faire condamner le groupe. Il faut dire aussi que le responsable à la pesée de la décharge s’est fait remercier illico après avoir signalé les anomalies de pesée à sa hiérarchie au sein du GPE. De quoi se laisser impressionner. Mais c’était sans compter sur la combativité de ce délégué au syndicat intercommunal (Smitom) et son collègue maire, qui de tracts en plaintes, de témoignages en actions écologistes, n’ont rien laissé passer.

En attendant la comparution de Pizzorno himself, le 29 mars prochain, la juge a donc présenté la note, ce 15 décembre, au groupe pollueur-payeur : exploitation d’installation classée en violation des prescriptions de l’arrèté d’autorisation, délit de pollution lié au déversement dans la décharge de mâchefers et de boues, mais relaxe sur la question des faux. Une note de plus d’un million d’euros à casquer. C’est donné, pour une poubelle de cette taille !

Sur Bagnols, à l’orée du site classé Natura 2000 « le Vallon des lauriers », fauvettes, faucons et pies-grièches vont pouvoir survoler de nouveau les steppes, bas-marais et prairies mésophiles sans s’abreuver dans un Ronflon de plomb, mercure, arsenic.

En Tunisie aussi

Le Groupe Pizzorno environnement (GPE) s’est doté depuis février 2005 d’un administrateur de choix en la personne de François Léotard, ancien ministre et ex-maire UDF de Fréjus. Pour 120 000 euros par an, cet « ami de la Tunisie et du clan Ben Ali » aurait-il fait usage de ses talents de lobbyste afin que GPE décroche la gestion de la décharge de Tunis ? En novembre dernier, un rapport de la Commission nationale d’investigation sur la corruption et la malversation, révélé par le site Rue89, affirme : « Il apparaît que le marché a été accordé d’une manière irrégulière [...] à la société française et son conseiller F. L. » Mais GPE s’insurge, et affirme avoir remporté ce contrat de 20 millions d’euros sur cinq ans dans les règles de l’art. Cependant, selon la Commission tunisienne, « il apparaît que F. L. a usé de son autorité et ses relations avec les responsables tunisiens pour influencer le cours du marché. » F. L., F. L… Mais qui cela peut-il bien être ?


1 Ainsi qu’à la commune du Cannet-des-Maures qui constitue, avec cinq associations écologistes, un syndicat et trois sociétés, l’autre partie civile.

2 Les lixiviats sont des « jus » d’ordures qui, suite aux pluies, percolent vers les nappes en charriant arsenic et autres joyeusetés.

3 Interdiction qui figure dans l’arrêté d’autorisation d’exploiter la décharge.

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2 commentaires
  • 5 mars 2012, 09:17

    c’est un journaliste qui a écrit cela ?????

  • 5 avril 2013, 17:22, par SL.

     Pour aller plus loin, depuis :

    Un tas d’ordures qui nourrit son homme Isabelle Barré, Le Canard Enchainé du 3 avril 2013, page 4.

    suivi de l’encadré Un gros Piz - Aller ibid.

    (...)

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Paru dans CQFD n°96 (janvier 2012)
Par Sébastien Lourme
Illustré par Lindingre

Mis en ligne le 29.02.2012