« Faire bouger les imaginaires sociaux »

Trois questions à Fight for 15$

Aux États-Unis, 42% des travailleurs gagnent moins de 15 dollars par heure, pas assez pour subvenir à leurs besoins. La restauration rapide restant le secteur dans lequel les salariés sont les moins bien payés. Entretien avec Kendall Fells, organizing director de Fight for 15$, mouvement de lutte dans les Mac Donalds.
Par Kalem

Comment la grève de 2012 dans la restauration rapide est-elle devenue une campagne nationale ?
Quand 200 travailleurs de la restauration rapide ont cessé le travail pour demander un salaire minimum de 15 dollars par heure et le droit de se syndiquer, personne n’y croyait. Mais ils se sont appuyés sur une colère profonde contre une économie qui accroît les inégalités sociales et ne profite qu’aux plus riches. Au début du mouvement, j’ai rencontré des travailleurs qui avaient été licenciés pour toutes sortes de motifs – avoir mangé un nugget de poulet sur le lieu de travail ou bu un grand verre d’eau plutôt qu’un petit.
Les grèves se sont multipliées, de Chicago à Detroit en passant par Milwaukee et Kansas City. Rapidement, les travailleurs de plus de 100 villes ont uni leurs forces et le mouvement s’est rapidement étendu à l’ensemble du secteur des services, la revendication ayant trouvé un écho chez les employés des services à la personne et de l’éducation, les salariés des aéroports, etc. Avec l’aide de l’Union internationale des employés des services (SEIU) et d’autres partenaires, les travailleurs en lutte ont obtenu des augmentations pour 22 millions de salariés. La lutte s’est aussi internationalisée, avec des partenaires syndicaux européens notamment, pour mettre les compagnies transnationales comme Mac Donald’s devant leurs responsabilités.

Quels résultats concrets le mouvement a-t-il obtenus ?
Fight for 15$ est une des luttes de travailleurs américains qui a le mieux fonctionné depuis des générations, et il a contribué à renverser les effets délétères de plusieurs décennies de répression antisyndicale. Quand les travailleurs de Fight for 15$ ont obtenu des augmentations salariales, en construisant un rapport de force avec les politiciens et les entreprises, un véritable élan est né dans la société : les salariés de New York, Seattle, Washington DC et d’entreprises comme JP Morgan Chase, Aetna, Facebook, etc. ont déjà obtenu 15 dollars de l’heure. On évalue que Fight for 15$ aurait permis d’augmenter le salaire médian de 5,6% aux États-Unis l’année dernière.
Nous avons aussi fait bouger les imaginaires sociaux : si un salaire de 15 dollars de l’heure était auparavant considéré comme inconcevable, il est désormais incontournable. Les Démocrates ont intégré cette revendication à leur programme électoral cette année, et récemment, un membre du Congrès républicain a exprimé son soutien à Fight for 15$.
Malgré l’issue de l’élection du 8 novembre, nous redoublons d’efforts. Le 29 novembre 2016, à l’occasion des quatre ans du mouvement, nous organisons la journée de grèves, de manifestations et d’actions la plus perturbatrice à ce jour ! Des dizaines de personnes descendront dans la rue, dans 340 villes à travers le pays pour demander un salaire minimum de 15 dollars, la liberté syndicale, mais aussi la préservation du système fédéral d’assurance maladie, Medicaid, dont la suppression a été promise par le président Donald Trump, la fin des reconduites à la frontière, et celle des meurtres d’Africains-Américains par les policiers.

Quels sont les liens entre Fight for $15 et Black Lives Matter ? On ne peut pas résoudre les problèmes économiques des États-Unis sans s’attaquer au racisme. Inversement, on ne peut pas combattre le racisme sans mettre fin à un système économique corrompu, conçu pour profiter aux plus riches. Ici, le racisme structurel et les inégalités économiques sont inextricablement liés, et nombre de travailleurs de Fight for 15$ font tous les jours face à cette réalité. Beaucoup vivent dans des communautés où être noir signifie qu’on peut être tué sans raison et où des familles sont régulièrement victimes d’expulsions. C’est pourquoi nous ne ferons pas que demander 15 dollars et la liberté syndicale ce 29 novembre. Nous rejetons aussi la politique de la division qui a marqué ces élections, et nous affirmons aux politiciens que nous nous opposerons fermement aux reconduites à la frontière et aux politiques racistes.

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Paru dans CQFD n°149 (décembre 2016)
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Par Judith Chouraqui
Illustré par Kalem

Mis en ligne le 14.12.2016