Pour les fêtes, le directeur s’est fait livrer trois caisses de champagne. Toi et tes nouveaux copains, vous en détournez une, que vous planquez au fond, derrière les amplis d’une marque haut de gamme. À partir de là, c’est l’ivresse et la poilade permanentes. On boit les bulles au goulot et on se tire le portrait avec des Polaroid sortis de leur emballage. On se déguise avec les abat-jours de studio photo. Le turbin se fait léger, les platines et les zooms valsent à travers les allées en mode soule villageoise. Tu te mets à chaparder, tu sors des cassettes que tu revends dehors. Un jour, tu t’acoquines avec un camionneur, petit ami d’une copine. Alors que vous n’êtes que deux vacataires présents dans la réserve, vous enregistrez l’entrée de dix cartons de VHS et, au lieu de les ranger, vous les fourrez à nouveau dans le camion. Tu montes dans la cabine et tu guides le livreur jusque chez toi, où vous déchargez le butin. Puis tu retournes au boulot comme si de rien n’était. Plus tard, un bouquiniste te met en contact avec un propriétaire de vidéo-club peu regardant, qui t’achète la cargaison rubis sur l’ongle, sans doute pour pirater des films en quantité industrielle. Après l’avoir aidé à charger sa bagnole, tu remontes chez toi. Tu comptes le fric, puis tu le balances en travers du lit et tu danses devant l’armoire à glace, avant de partager en trois : un tiers pour le livreur, un tiers pour le collègue présent à la réception, et un tiers pour ta pomme.
C’est Byzance. Mais tu te rends compte qu’après un coup pareil, tu peux vite finir en roue libre. Quand le chef te propose un CDI à partir du 1er janvier, tu gamberges. T’enterrer vivant ici ? Au risque de se faire pesquer un jour de cleptomanie aggravée ? Tu hésites, entre gourmandise et sagesse spartiate. Tu consultes Mario, ton complice lors de l’escamotage. « Tu as envie de rester, toi ? » L’autre dit oui. Alors tu fais exprès d’arriver en retard tous les jours, histoire de faire baisser ta cote. Et ça ne rate pas : à la fin, c’est le copain qui reste. Toi, tu retournes au chômage, soulagé. Et tu fais bien. Mario a poursuivi sur sa lancée, associé au chauffeur-livreur. La profondeur de stock – c’était avant la mode du flux tendu – permettait de camoufler les pertes jusqu’au prochain inventaire, diluant ainsi les soupçons. Ça marchait tellement bien que Mario s’est acheté une Renault Alpine, qu’il garait sur le parking, en face du quai de livraison. Un jour, les vigiles du centre commercial l’ont pris sur le vif. Au lieu de le livrer aux keufs, ils l’ont mis à l’amende : « À partir de maintenant, tu vas bosser pour nous ! » Voilà le voleur devenu esclave. Jusqu’à ce que la Fnac s’aperçoive des trous dans les stocks et qu’elle commandite une enquête, des filatures…
Ça a mal fini. Vigiles et magasinier se sont retrouvés à l’ombre. Le vol au travail, c’est comme tout, il faut savoir arrêter à temps.