Mythe arthurien

Tous les chemins mènent à Camelot

Excalibur, la Table ronde, Merlin l’enchanteur, Lancelot, les chevaliers qui disent « ni », la fée Morgane, etc. (chercher l’intrus) : la geste du roi Arthur fait partie des mythes contemporains les plus populaires. William Blanc, médiéviste, lui a consacré un livre aux éditions Libertalia. Entretien.
Par Ferri

Après Charles Martel et la bataille de Poitiers (éditions Libertalia, 2015), co-écrit avec Christophe Naudin, tu t’es attaqué au Roi Arthur, un mythe contemporain. Quel est l’enjeu de l’histoire critique et culturelle des mythes ?

« Tout d’abord, comprendre que les mythes sont des constructions plastiques et que chacun peut y mettre le sens qu’il veut. C’est d’autant plus le cas avec les récits arthuriens et leur grande palette de personnages. En fait, le processus a commencé dès le Moyen Âge, au IXe siècle, lorsque la légende se crée dans les cours galloises, le roi Arthur est un des nombreux héros servant à se mobiliser contre les royaumes saxons voisins. Puis, au XIIe siècle, avec Geoffroi de Monmouth et Chrétien de Troyes, le mythe se christianise alors que l’Église s’affirme comme le groupe social dominant en Occident, au détriment de la chevalerie. C’est à ce moment-là qu’est inventée la Table ronde, allusion limpide au dernier souper de Jésus, mais aussi le Graal alors que les textes commencent à être rédigés dans les langues vernaculaires – c’est-à-dire autres que le latin – afin de pouvoir être lus et entendus par un public plus large (mais toujours noble). Ce mouvement culmine avec la rédaction, au début des années 1470, de la compilation de Thomas Malory, Le Morte Darthur, encore lue aujourd’hui dans les pays anglo-saxons. Il ne faut pas croire pour autant que le mythe est monolithique au Moyen Age. On trouve des versions qui varient en fonction des origines géographiques ou sociales. Il y a ainsi un texte arthurien en hébreu produit au XIIIe siècle (dans lequel Arthur est déchristianisé), mais aussi des versions écossaises où Arthur est dépeint comme un usurpateur.

Bref, les interprétations des mythes sont en perpétuels changements et il n’y a pas une origine « chimiquement pure » de la légende de Camelot – tout comme il n’y a pas une origine « pure » des nations ou des idées politiques – qui se trouverait dans des « racines celtiques » largement réinventées au XIXe siècle. Un autre intérêt de l’histoire des légendes arthuriennes réside dans ses moyens de diffusion. Les récits arthuriens, y compris leurs versions les plus politiques, se propagent aujourd’hui par la culture populaire (cinéma, musique, BD, jeux vidéos), ce qui revient à dire que celle-ci, loin d’être un « sous-produit » à négliger, doit être au contraire être étudiée, ne serait-ce que dans un souci d’autodéfense intellectuelle. »

Quels sont les usages politiques du mythe arthurien ?

« Il y a des usages classiques, attendus, de la figure de personnages liés à un imaginaire médiévaliste. Ainsi, en Angleterre, au XIXe siècle, les chevaliers de la Table ronde servent de modèle à l’aristocratie, notamment dans les poèmes d’Alfred Tennyson. Le gentleman victorien s’imagine être un nouveau chevalier et, lorsqu’il part combattre dans les colonies, il n’est pas rare qu’il pense reproduire la geste des guerriers arthuriens allant évangéliser des terres barbares. L’un des principaux cercles impérialistes anglais fondés en 1909 – qui existe toujours, sous la forme d’un think tank consacré aux relations internationales – se nomme ainsi « la Table ronde ». Pareillement, lorsqu’il se rend en mission auprès des tribus bédouines en 1916, Lawrence d’Arabie emporte avec lui Le Morte Darthur de Malory.

Cette idéalisation de soi va de pair avec une idéalisation de la guerre, perçue comme un nouveau tournoi chevaleresque. Beaucoup de jeunes Britanniques partiront en 1914 la fleur au fusil, pensant revivre dans leurs combats les exploits de Lancelot. Inutile de dire que la réalité cruelle des combats des tranchées a sonné le glas de cette imagerie. La génération survivant à l’horreur de la Grande Guerre imagine donc une légende arthurienne tout autre, en rejetant l’idée chevaleresque, comme J.R.R. Tolkien, dont les héros, les Hobbits, sont de véritables antiguerriers. D’autres mettent l’accent sur l’imagerie du chevalier blessé dans un monde moderne trop brutal et cherchant à se soigner en buvant l’eau du Graal, comme T.S. Eliot dans son long poème La Terre Gaste (1922).

La société victorienne, foncièrement misogyne, produit un mythe arthurien dans lequel les femmes sont accusées de tous les maux. Tennyson explique la destruction de Camelot à cause de l’infidélité de Guenièvre avec Lancelot, ou de la lubricité de Viviane, séduisant Merlin et provoquant sa chute. »

Et les usages plus inattendus ?

« On pourrait penser que le Moyen Age sert d’époque de référence aux seuls courants réactionnaires. En fait, la gauche, et même l’extrême gauche, ont elles aussi rêvé de leur Moyen Age, dans lequel le mythe de Camelot, notamment outre-Atlantique, occupe une place non négligeable, avec des personnages comme Robin des Bois ou Jeanne d’Arc. Le roi Arthur est ainsi vu aux États-Unis à partir des années 1960 comme un jeune souverain à la fois pacifiste, luttant contre la violence des barons médiévaux, mais aussi démocratique, promouvant une Table ronde où n’importe qui pourrait s’asseoir, y compris les gens de condition modeste. Cette image transparaît d’abord dans la série de romans The Once and Future King de T.H. White. Elle a été popularisée par la comédie musicale produite à Broadway, Camelot (1960), puis par le dessin animé de Disney Merlin l’enchanteur (1963). On a alors fait le lien entre le jeune roi Arthur avec le président américain d’alors, John F. Kennedy, et ce d’autant plus facilement que sa veuve, une semaine après l’assassinat de son époux, compare explicitement ses années à la Maison-Blanche au « bref instant de lumière » qu’a été le règne du souverain de la Table ronde.

Depuis, dans la gauche américaine, Camelot est devenu l’image d’un idéal perdu de la vague progressiste portant la lutte pour les droits civiques. Cette idée transparaît nettement dans la culture populaire, notamment dans les comics de superhéros avec par exemple les X-Men dans lequel les mutants en lutte pour leur liberté – à l’instar des Afro-Américains durant les années 1960 – sont régulièrement comparés à des chevaliers arthuriens. D’ailleurs, il n’est pas rare de voir aujourd’hui des « Tables rondes » projetées à l’époque contemporaine ou dans le futur incluant soit des chevaliers extra-européens, soit des femmes guerrières, comme c’est le cas dans le comic-book Camelot 3000 (1982-1985). C’est une invention complète de la fin du XXe siècle, qui correspond à l’évolution des mœurs en Occident et aussi un moyen de promouvoir l’égalité dans la société. Après tout, si la Table ronde est ouverte à tous, si chacun tient une place égale à celle de tous ses voisins, pourquoi est-ce qu’une femme afro-américaine n’aurait-elle pas le droit de s’y installer ?

Le mythe arthurien a aussi servi de critique écologique de la modernité, notamment à travers des figures comme la fée Morgane ou Merlin, vues comme des personnages qui tentent de sauvegarder des traditions celtiques (comprendre, la Nature) face au christianisme (donc, le monde moderne, industriel et technoscientifique). Cette imagerie a été largement diffusée par la contre-culture des années 1960, dans un mélange parfois très étonnant de prose féministe, de religion néo-païenne, mais aussi de militantisme écologiste radical. Aujourd’hui, cette rhétorique rime parfois avec quête de racines fantasmées et donc, de repli identitaire. Encore une fois, chaque époque produit des mythes qui font écho à ses angoisses les plus sombres, mais aussi parfois, à ses espoirs les plus lumineux. »

Propos recueillis par Mathieu Léonard

William Blanc, Le roi Arthur – un mythe contemporain, Libertalia, 2016.

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