Sur le fil

NONCER LES VIOLENCES contre les femmes et le détournement raciste de ces dénonciations – opéré via le raccourci « violences contre les femmes = violences d’Arabes/musulmans » – est parfaitement compatible, mais reste un exercice difficile. D’un côté, d’aimables connasses se revendiquant féministes vous accusent,au choix,de favoriser l’islamisation rampante de la société – ou de renvoyer ces femmes de cités dans le silence et l’invisibilité ; de l’autre, certains camarades, voyant dans le féminisme un combat d’arrière-garde de bourgeoises pinailleuses, ne se privent pas de tirer des conclusions qui tiennent de l’hémiplégie de circonstance. Eh oui, on ne fait pas deux choses à la fois,ma bonne dame :en banlieue, on est d’abord violenté par l’État,par la précarité,etc.Passons donc ces violences masculines sous silence, cela ne sert pas notre lutte. C’est ce qui s’appelle un grand bond en arrière, au temps où la lutte dite secondaire – féministe – devait sagement marcher derrière son grand frère, le combat dit prioritaire – de classe, en fermant sa gueule et en ronéotypant les tracts de la grande AG, où le port de couilles était obligatoire pour monter en tribune. Or, dénoncer cette utilisation raciste du féminisme,ce n’est pas devenir enfin raisonnable et clairvoyante en quittant le camp féministe, pour se ranger aux côtés du grand frère. Au contraire. C’est revenir aux sources d’un féminisme qui n’a jamais accepté qu’on lui dicte les limites et contenus de ses combats, et cela que la feuille de route soit tracée par l’État ou par les camarades d’AG. C’est revenir à un féminisme nourri notamment par les textes de Christine Delphy ou de Colette Guillaumin,analysant et démontant notamment les justifications naturalistes de la notion de race et de sexe. C’est se poser la question des mécanismes et intrications de ces oppressions, que des féministes ont décortiqué et continuent de décortiquer inlassablement, sans souvent beaucoup de soutien et de considération.En refusant de se pencher sur ces analyses, en acceptant notamment sans broncher l’existence de « différences naturelles » entre hommes et femmes, on contribue par défaut à entretenir l’idée selon laquelle il existerait bien des différences – et hiérarchies – « naturelles » au sein de la population. Comment, dès lors, s’étonner de la difficulté à contester l’enfermement et le matraquage de populations au nom de « différences » qui ont toute l’apparence de l’évidence,puisque justifiées par une nature ? On a l’éternel féminin comme on a l’éternel maghrébin, immigré jusqu’à la cent cinquantième génération s’il le faut, puisque la nature du dominé lui colle à la peau. Alors, dans un contexte aussi malsain, il serait absurde de continuer de nous priver d’outils d’analyse et de lutte en jetant le bébé féministe avec l’eau du bain raciste.

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