Sous « Le Blizart », des braises

On ne sait pas si l’éternel y a vraiment posé son cul, mais la Chaise-Dieu (Haute-Loire) suscite des vocations profanes. A l’ombre de son abbaye, un bar, un festoche, des envies jaillissent ; la vie indocile qui expérimente…
Par Rémy Cattelain.

La chaise-dieu ! Foutre Dieu avec un nom pareil, ça doit pas être commode de biberonner tranquille sous les ors d’une abbaye, et d’une belle en sus. Pour le pèlerinage il y a le père Debord suicidé à quelques kilomètres à Bellevue-la-Montagne, tudieu !

Aujourd’hui, le village se trimballe un aspect de ville fantôme, les affiches à vendre/ Cabinet Gouy jalonnent la rue où j’avance ma tire. Je la gare sous un panneau « Cours de Dentelle ». Pute Dieu, et en mon âme et conscience m’interroge : Mais pourquoi sont-ils là ? Eux, ce sont trois loustics qui ont créé de toutes pièces un estaminet où l’on peut s’en boire un. D’abord Hélène qui tient le bar ce jour-là, se raconte un tantinet : « Avec Nicolas on a construit une cabane en paille par ici. Après je me suis demandé, que faire dans ce coin où j’étais née. » Elle suit une formation, « Du désir au projet », voilà un sacredieu chouette blaze pour ériger un bistroquet au cœur d’un patelin pareil. Lui, il boxe pour se dégeler les mains ou plante des clous dans de la paille.

Le blaze du café, c’est Le Blizart ! T’imagines un rade perché à Masillia que le gonze appellerait Le Mistral ? Bouffon va ! Et l’association qui le fait vivre s’appelle Les Congères ! Pour un jeu de mot c’est risqué, non ? T’attends que je te jacte que les gens se paient des esquimaux en apéro, non ?

Ici c’est un peu le café de la dernière chance et en ce vendredi matin d’octobre, ventrebleu, les clients défilent comme au 14 juillet. Le premier a pour patronyme René : « Je viens tous les deux siècles mais six siècles après l’abbaye », éructe-il sur le comptoir. Fin connaisseur de l’actualité parisienne, il tente : « Ici c’est ouvert même le dimanche, on n’est pas un magasin de bricolage !  » René vient de Bessac, un hameau avec vingt habitants l’hiver, c’est à dire onze mois de l’année comme disait Vialatte en excluant le mois d’août, la deuxième saison en Auvergne. «  Avant, l’hôtel Le Tremblant tournait à fond », se souvient-il. Hélène relève qu’à la Chaise-Dieu, une librairie, l’Oie bleue tient le coup, qu’un écrivain méconnu vient en résidence ou qu’on organise depuis peu de l’astronomie populaire avec un gus du CNRS, qui possède une cagna dans le coin. De quoi faire tourner les têtes devant les étoiles qu’on distingue très largement quand le froid s’installe sur le plateau. « C’est pour le peuple, ceux qui vivent la science, axée sur le réel  », m’explique Roger, un Marseillais replié dans les plantations d’épicéas.

Les trois compères, Cécile, Hélène et Nicolas ont tout bricolé eux-mêmes et c’est beau : parquet en chêne, ou enduits chaux. Tellement beau, que tout le monde le dit ! Et le répète à qui mieux mieux. Deux ans de travaux quand même. Ici, sortir l’oseille pour se caser c’est moins cher que louer, foutre dieu !

Cécile a fait un tour par la Belle de Mai à Marseille avant de revenir construire une cabane avec son copain, lui aussi du coin. Après, la petite équipe a lancé avec des potos Talent rural, un festival tout gratuit, sauf la binouze, quand même ; c’est des anges mais même au pays de Saint Pierre on est limité par la voûte céleste.

«  L’idée c’était de faire un bar comme les autres », me confie Hélène. Mais sans emprunter aux banques, « j’aime pas les banques », ajoute-t-elle. « De toute façon, ils ne nous auraient pas prêté. » Pardi !

Par Rémy Comment.

Quand on interroge le chaland qui rentre, c’est toujours à Bibi qu’il pense pour expliquer ce qu’il vient faire ici. Bibi, c’est la madre des filles et leur banque solidaire. Elle a fait pousser des vaches sur de la glace pendant des années à deux pas d’ici. Les talents ruraux c’est elle qui les fait naître. Aujourd’hui elle chante avec des quinquas dans un groupe autogéré dont fait partie Roger, venu déposer une affiche pour des cours de guitare en ligne. Comme quoi Internet crée du lien…

Laurent et Angélique râlent contre une lecture théâtralisée qu’ils ont vue l’autre fois ici : « On n’a pas aimé, ce qu’on aime c’est être bien accueillis, des patrons gentils. » Ils viennent des cités de Montluçon, de Fontbouillant. Eux n’en pouvaient plus de la vie en barres. Maintenant ils dressent deux chevaux en club, sirotent un Coca local et plaisantent avec Hélène, qui prépare des sandwichs en restant de bonne composition. « L’endroit est bien pour les enfants. » Et puis personne vous oblige à consommer : « C’est même dans le programme ! », me souffle Hélène comme un gentil blizart, brrrr…

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