Le préfet a sonné deux fois

Salma et Salima

CQFD a rencontré Salma, une jeune Auvergnate sans papiers que recherchait la police. Sa sœur jumelle, expulsée au Maroc par le filandreux préfet d’Auvergne, a pu, le 7 mars, revenir en France munie d’un nouveau visa.Voyage au pays du chiffre et de l’absurde administratif.

UNE TABLE BASSE où trône une coupe de friandises, dans un salon rose, quelque part en France. En cavale, Salma Boulazhar, jeune fille réservée, n’est pas une habituée des médias. Avec Salima, sa sœur jumelle, elles ont payé leur « droit d’aubaine »1 à l’État français, pour avoir eu la mauvaise idée de naître au Maroc.

Le 19 janvier 2010 à 6h du matin, la police débarque chez leur tante, interpelle Salima et la transfère au centre de rétention de Lyon. Elle est ensuite envoyée à Casablanca, où le Réseau éducation sans frontières (RESF) lui trouvera une famille d’accueil. Hospitalisée, Salma a échappé à la rafle. « Ma tante m’a appelée, j’ai alors quitté l’hôpital. » Soutenue par la « résistance auvergnate », elle a pris le maquis,après avoir détruit la puce de son portable. Dans sa planque, elle a passé un mois à dormir, mal. Elle n’était pas préparée à cela. « Le premier jour, elle a même perdu connaissance, tellement elle était apeurée. Raphaël Maniez, de RESF, s’interroge : et s’il lui était arrivé un gros pépin ? » Une équipe du Samu,venue la soigner lors de son malaise, la reconnaît mais ne la dénonce pas.

À Clermont-Ferrand, la mobilisation est inespérée. Même le candidat PS aux élections régionales s’en mêle… En face, Patrick Stefanini, un préfet rigide à

par Karine Bernardou

qui l’on doit la maxime nauséabonde du « sans-papiers ayant vocation à retourner dans son pays d’origine ». En 1996, directeur adjoint du cabinet de Juppé, il brilla dans le lancer de hache contre la porte de l’église Saint-Bernard. Affublé du sobriquet « Serial Loser » à cause de ses échecs répétés devant le suffrage universel, cet ambitieux fonctionnaire a connu ses premiers francs succès avec la création du ministère de l’Identité nationale, dont il est l’un des concepteurs, le secrétaire général et l’éminence grise.

Abandonnées par leurs parents, les deux soeurs ont d’abord été élevées par leur grandmère, au Maroc. À sa mort, en vertu de la Kafala –prise en charge des enfants abandonnés dans le droit marocain–, elles sont recueillies par une de leurs tantes qui réside en France. Pendant cinq ans, elles ont vécu la même vie que les enfants d’ici, peut-être en plus pauvre. Leur tante Atika ne perçoit pas d’allocations familiales pour ses deux nièces, la CAF ayant refusé de les octroyer faute d’un certificat de l’Office des migrations internationales. À leur majorité, les jumelles demandent le renouvellement de leurs papiers,mais elles essuient un refus des services préfectoraux, où la politique du chiffre est devenue obsessionnelle. « Ils n’ont pas hésité à répondre que les sœurs étaient inconnues des services, explique Raphaël Maniez. Une expulsion, c’est un échelon de plus pour atteindre les quotas.  » L’Auvergne en serait déjà à 700 renvois… Patrick Stefanini,condamné à dix mois de prison avec sursis dans l’affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris, considère que les jumelles doivent retourner au Maroc pour régulariser leur situation. Leur casier étant vierge, elles pourront ensuite, qui sait, briguer un emploi réel à la préfecture de Clermont2

Salma possède un drôle de papier, un « document de circulation pour mineur étranger », qu’elle n’a jamais eu à présenter. C’est une fille rangée, qui ne sortait pas et poursuivait un CAP restauration à l’institut des métiers, où l’on s’est solidarisé avec elle. De santé fragile, elle souffre de problèmes psychologiques. « On n’est pas un danger pour la France », glisse-t-elle timidement. Un danger, non. Juste un épouvantail pour diviser les pauvres. Comme l’affirme le démographe Hervé Le Bras, « dans ce mouvement irrationnel, la peur de l’autre rejoint l’antique mépris du pauvre ». Reste aux étrangers à se promener dès potron-minet en short beige, lunettes de soleil et Caméscope. C’est très Goldmann Sachs, paraît-il.


1 Au Moyen Âge, les étrangers vivant en France étaient soumis au droit d’aubaine : à leur mort, le souverain héritait de leurs biens. Ce droit fut aboli le 29 février 1872.

2 Salima est arrivée à Lyon le 7 mars, accueillie par ses tantes. Raphaël les accompagnait : « Elle est heureuse, mais avec un beau traumatisme de son passage en centre de rétention. » Quant à Salma, elle avait rendez-vous en préfecture le 11 mars.

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