Docu de l’Est

Retour à Forbach

« Ça partait pas beaucoup en vacances » dans cette cité de Wiesberg où Régis Sauder promène sa caméra dans le documentaire Retour à Forbach.
D.R.

« L’or noir sous ses pieds », Régis Sauder n’en aurait pas voulu. Il a quitté Forbach, entre Sarre et Lorraine, dès qu’il a pu. La Moselle : Francis Heaulme, la guerre 14-18, la fin des mines, voilà pour la carte postale. Sa démarche est comparable à celle de Didier Eribon dans l’incontournable Retour à Reims, un livre personnel où l’auteur, sociologue, part en quête d’un refus : celui de l’identification à ses parents, et par là même celui de la domination associée à sa classe sociale, celle des vaincus.

Natif de Forbach, Régis Sauder s’y est de nouveau intéressé lorsque son père a eu la maladie d’Alzheimer, cette étrange altération qui convient bien à un monde qui perd la mémoire de ses défaites. Un événement qui a, étrangement, coïncidé avec la poussée du vote Front national dans cette ville moyenne de Moselle. Rien à voir avec les insupportables retraités friqués varois, retranchés derrière leurs propriétés bien gardées. « Tous les cols blancs ont des pavillons dans le sud de la France, nous on a la silicose. » Forbach ville fantôme, ville abandonnée avec ses pauvres : « On se sent nul quand on est pauvre », lui dit Flavia, une directrice d’école qui est restée là-bas. Sous le sceau de la « hante » comme on dit dans ce pays où on parle encore le platt, cette langue allemande différente. Ville pauvre et sous le coup d’un chômage menaçant tout possible. Avant la fin des houillères, le patronat, celui des Houillères du bassin de Lorraine, les emmenait du logement à la mine et creusait même leur tombe. « Les gens sont paumés, la librairie est fermée » et les autocollants des Identitaires s’affichent sur les poteaux de la ville morte : « On est devenus des larbins à cause du crédit sur la maison pendant 15 ans », raconte un de ses amis d’enfance. Mohamed poursuit : « On subit une violence, j’ai pris l’habitude des agressions. » Les agressions, les coups, ce ne sont pas ceux d’une jeunesse sans espoir, ni ceux des étrangers, mais bien ceux du capital.

Régis Sauder raconte son enfance à côté, le regard tourné vers les riches. Le pauvre, il n’aime ni le foot ni la bagarre : « J’ai de bonnes manières et je me retrouve chez les francophones. » Régis jouant dans l’interclasse, s’extrayant de la sienne.

Ils sont tous étrangers sur cette terre proche de l’Allemagne, Polonais, Italiens, Algériens... « Ça partait pas beaucoup en vacances » dans cette cité de Wiesberg où Régis promène sa caméra. Une cité dans laquelle on s’enferme. Seule la mosquée devient un lieu de rendez-vous où l’on peut rencontrer trois copains pour déménager.

« Tout le monde a peur de tout le monde » , comme si Forbach était en dépression. Après Florian Philippot arrivé en tête du premier tour des municipales, Marine Le Pen a pris la première place suivie par Mélenchon pour les présidentielles. Le Front national a su faire passer un message aux laissés-pour-compte : nous sommes le parti de la revanche contre toutes vos misères, celui des sans-grade, de ceux qui ont les pieds dans la boue et la tête dans le gris des cheminées, quand à Paris on gagne des millions à la télé, quand ici on reçoit en pleine gueule les images de la beauté, du soleil et de la richesse et que par la vitre de la voiture, il neige sur une ville grise.

Un jour, le pavillon des parents est vendu et Régis filme le remplissage de la benne devant la maison : « Une vie l’a remplie, une journée pour la jeter. » Tout y passe, la collec’ de Charlie Hebdo, le baby-foot, on frissonne devant toute cette marchandise inutile qui nous dit qu’on va crever. « On est de quelque part, Régis », lui assène la directrice d’école. Lui qui voulait faire un film sur l’héritage et la transmission, il écoute mais semble avoir fui depuis longtemps.

Christophe Goby
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