Médias libres

Radio Canut tisse son futur

La Lyonnaise des ondes1 n’est pas prête à raccrocher après une trentaine d’années au service de la radio indépendante et autogérée. À l’occasion d’une campagne de levée de fonds, CQFD a discuté avec Alex, animateur d’une émission sur les paysans2.

CQFD : Tu pourrais nous brosser un petit historique de la radio ?

Alex : C’est pas facile, mais je peux dire que ça a commencé dans les années 70 avec une radio pirate, un truc à l’arrache comme on faisait à l’époque. Après, avec la libération des ondes hertziennes, c’est devenu Radio Canut, avec une fréquence autorisée par le CSA en 85. L’année prochaine, ça fera trente ans que la radio existe officiellement, même si elle est plus ancienne. Alors tu imagines que ça a pas mal évolué. Les gens sont plus les mêmes. Mais la ligne de base de la radio n’a pas changé : Radio Canut est autogérée par celles et ceux qui font les émissions. Et en totale autonomie, sans actionnaire (évidemment), sans pub, sans subvention politique, sans salarié. Alors forcément, on a toujours eu un budget plutôt limité. La base politique, c’est très simple : pas de prosélytisme religieux ni de sexisme, d’homophobie, de racisme… Bon, il y a forcément une certaine coloration politique. N’importe qui peut proposer une émission, mais il faut que cette idée soit validée par un bureau d’une quinzaine de personnes de la radio.

Ce qui nous tient à cœur, c’est de transmettre les paroles des personnes qu’on entend pas souvent dans les médias. Ça marche aussi bien pour la musique que pour les débats. C’est plutôt des émissions anti-carcérales, féministes, sur les sujets trans-pédés-gouines, les luttes paysannes et sociales… Il y a aussi des émissions culturelles ou communautaires, kabyles ou malgaches, par exemple. C’est assez varié, mais toujours indépendant et plutôt local.

Et donc, vous lancez une campagne d’appel à don. Vous traversez une crise grave ?

Non, c’est pas tout à fait ça. Des moments difficiles où il nous fallait de l’argent rapidement, on en a eu ! Comme tout le monde, comme vous à CQFD. On a fait des concerts de soutien, des appels à l’aide, etc. Mais cette fois, c’est pour s’en sortir à long terme. Nous avons deux sources de revenus : les cotisations de 20 euros par mois et par émission et surtout le fonds de soutien radiophonique (FSR).

Je croyais que vous ne touchiez pas de subvention ?

Pas de subvention « politique ». C’est-à-dire pas de subvention qui dépende du bon vouloir princier d’un maire, d’un conseiller régional ou quoi. Le FSR provient d’une taxe sur les radios commerciales qui est redistribuée automatiquement en fonction du temps d’antenne. Plus un bonus en fonction des thématiques locales, sociales, écologiques, etc. Tous les ans, on remplit un dossier et on n’a pas trop d’inquiétude à avoir. Sauf que cette redistribution stagne année après année et que le bonus fond comme neige au soleil. Alors que nos dépenses augmentent tous les ans. Les dépenses, c’est pour 60 % la diffusion à l’antenne et la Sacem – les droits d’auteur. On fait appel à un prestataire pour la diffusion qui transmet notre signal et assure l’entretien. On voudrait bien diffuser par nous-mêmes, mais c’est compliqué. Il faut être situé très haut, avoir pas mal d’argent, des connaissances techniques et du personnel pour s’en occuper 24h/24.

Le deuxième poste de dépense, c’est le loyer de notre local qui compte pour 25 %, et ça augmente très vite. Récemment, au changement de bail, notre loyer a fait un bond de 20 %. Du coup, on s’est dit que si on voulait tenir à long terme, il serait mieux qu’on achète un lieu fixe. On gagnerait en sérénité et en sécurité. On se dit aussi qu’avec un endroit plus stable, ça permettrait à chacun de plus s’investir, d’avoir confiance, de voir que l’aventure de la radio est solide et faite pour durer.

Pour cette campagne, on s’est donné le temps. Elle a commencé le 1er mai dernier et doit durer un an, plus une année pour trouver notre local, le retaper peut-être. Les dons, c’est uniquement pour ça : pour pouvoir nous installer chez nous.

Et pourquoi ne pas renoncer à la diffusion hertzienne et vous contenter d’une diffusion via Internet ?

Ça serait dommage ! C’est sûr, c’est moins cher. Mais la FM, on y est attachés. Et on pense aux gens qui nous écoutent sur des postes à piles, dans la voiture, n’importe où. Ça peut paraître symbolique, certes, mais c’est un aspect concret, la FM : Radio Canut peut être présente sur les piquets de grève, les manifs, à la campagne. C’est pas possible avec seulement Internet.

Quels sont les autres projets de la radio ?

On aimerait bien s’auto-émettre. Mais ça peut attendre. Aujourd’hui, on couvre jusqu’à 60 km autour de Lyon et ça nous suffit. Plutôt que d’émettre plus loin, on préfère être en lien avec d’autres radios indépendantes qui fonctionnent un peu comme nous, comme Radio Galère, Radio Zinzine, Radio Mont-Aiguille… Ce qui est formidable avec la radio, c’est que c’est assez simple. Ça se transmet, ça se partage. Nous, ce qu’on souhaite, c’est continuer dans ce sens-là. Ce n’est pas courant de bosser à autant. On est entre 100 et 150 personnes à mener la radio, sans spécialistes, en partageant toutes les tâches, en transmettant nos savoir-faire. Notre objectif, c’est de garder et développer notre autonomie.


1 Sur Lyon et son agglo, 102.2 FM. Ou sur Internet.

2 « Paysans et paysannes dans la lutte des classes », un jeudi sur deux de 18h à 19h.

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