Pour en finir avec l’hédonistement correct

Le plus jouissif, le plus séditieux, le plus chamboulant d’entre tous les livres rebelles jamais conçus, Le Nouveau Monde amoureux (circa 1820), est réédité ces jours-ci aux Presses du réel. J’y reviendrai chaque mois jusqu’à ce qu’il trône sur votre table de chevet (ou dans vos hamacs).

« Diable peint sur mur » (publicité murale, Hérault)

Disons juste pour vous allécher que Fourier y imagine une société festive et ludique, basée sur une « interactivité horizontale » passionnée et sur une tolérance complice pour les passions et les manies de chacun (fussent-elles absolument insolites). Une société où « les nouvelles règles ne sont plus des interdits mais des protocoles de jeux sociaux, érotiques, esthétiques » niquant l’économie de la domination et du profit, le joug patriarcal, l’éducastration, la phallocratie mais également les aspirations des prêchi-prêcheurs utopistes à une refonte des mœurs hédonistement correcte.

Les marxistes ne pigèrent que couic à Fourier mais la plupart d’entre eux passèrent aussi à côté du communisme. C’est ce que raconte dans les détails le professeur Jacques Grandjonc dans le mastard (plus de 650 pages), assez ardu mais fichtrement captivant Communisme. Kommunismus. Communism (éditions des Équateurs, 2013) qui fait l’analyse historique et philologique de ce vocable transfrontiéral et de tout le champ lexical qu’il engendrera à travers les termes « coopération », « socialisme », « mutualisme » etc., nés entre 1785 et 1842 au sein de groupes de combat – parfois minuscules – décidés à réinventer le monde. C’est dire que ce savant traité qui suit pointilleusement à la loupe les germinations d’un vocabulaire communautaire, révolutionnaire et internationaliste nous acoquine en cours de route avec bon nombre de critiques allumés de « la propriété particulière source du mal absolu  » (Morelly). Parmi ceux-ci :

– des libertins mal compris comme Restif de la Bretonne qui, dans le cadre d’une société où « l’ordre du clergé » serait supplanté par «  l’ordre des femmes », proposait un «  idéal de vie fondé sur la communauté des biens et des jouissances » ;

– des babouvistes conspirant pour l’éclatement du grand soir « plébéioniste » ;

– des pamphlétaires radicaux clandestins comme le curé mécréant Meslier ou opérant à l’air libre comme le Diderot déchaîné de Supplément au voyage de Bougainville ;

– des enfourcheurs d’utopies audacieux (Fourier, Weitling, Considérant) ou spongieux (Cabet, Owen, Leroux) ;

– des collectivistes turbulents comme les rocambolesques conjurés, en 1840, du groupuscule « Ni châteaux ni chaumières » ;

– ou des poètes mutinés se mettant tout à coup en risque. C’est ainsi que l’illustre Heinrich Heine, narguant le vieux dicton « Il ne faut pas peindre le diable sur le mur », peignit résolument en 1841 le diable sur le mur dans sa Gazette d’Augsburg en s’attachant à démontrer aux tout premiers communistes, fort isolés les uns des autres, qu’ils existaient réellement et que leur heure allait sonner.

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