Roms

Petit pogrom électoraliste

Jeudi 24 mai, accompagnée d’une quarantaine d’énergumènes, Nora Remadnia Preziosi, candidate UMP dans la troisième circonscription des Bouches-du-Rhône, a fait irruption dans un campement rom installé depuis janvier sur un terrain vague de Château-Gombert. « Pour que Marseille incarne le bien vivre ensemble », promet-elle dans un clip électoral…

« Cassez-vous ou on vous met le feu ! » hurle la petite foule surexcitée. Son bébé dans les bras, une femme court se réfugier dans sa caravane. Mariana appelle Caroline Godard, de l’asso Rencontres tsiganes : « Ils sont trente ou quarante et ils viennent vers nous en faisant de grands gestes. Il y a des caméras avec eux. »

Il est 20h30 quand Caroline arrive sur les lieux en compagnie de Bernard Eynaud, président de la Ligue des droits de l’homme (LDH) des Bouches-du-Rhône, et de la compagne de celui-ci. Voyant que la meute gesticule toujours sur la rotonde voisine, ils s’approchent pour tenter de calmer les esprits. Nora Preziosi et sa suppléante sont encore là. La suppléante prend à partie les nouveaux venus : « C’est votre faute ! Vous leur amenez à manger, vous les avez branchés sur le réseau d’eau potable ! » Les insultes pleuvent, dont un chapelet de jurons misogynes. Un poing s’abat sur l’œil de Bernard et un coup violent dans le dos déséquilibre sa compagne. Les trois militants s’éloignent sous les huées.

La caméra présente ce jour-là était celle d’une équipe de Serge Moati effectuant un tour de France des candidats en campagne. La voilà servie… Mais partis trop tôt, l’équipe télé comme l’envoyé de La Provence n’ont pas assisté à l’agression envers les « droits-de-l’hommistes ». Et le journaliste local écrira qu’il ne s’est rien passé – puisqu’il n’a rien vu !

En juin 2008, une rumeur accusant les Roms d’enlever des enfants pour alimenter un trafic d’organes provoqua un lynchage à la cité de la Bricarde1. Le 7 octobre 2009, une manif anti-Rom réunissait « communautés » et élus de gauche des quartiers Nord… Fin 2010, après le discours de Grenoble de Sarkozy, un bivouac installé sous une bretelle d’autoroute fut incendié à coup de cocktails Molotov. Le 16 janvier 2011, un commando attaqua à coups de gourdin un campement de fortune sur la porte d’Aix et mit le feu à deux tentes2.

Le 24 mai 2012, Nora Preziosi s’est contentée d’haranguer les habitants de la résidence fermée mitoyenne du campement de Château-Gombert. Sur son blog, elle qualifie de « regrettable » la décision du tribunal de grande instance (TGI) accordant aux familles un délai de quatre mois pour quitter les lieux : « Les habitants sont victimes de cette décision, ils doivent subir les nuisances olfactives et sonores sous leurs fenêtres sans rien dire, c’est injuste. » En réalité, la pinède où les familles roms se sont installées après une énième expulsion est située à bonne distance de la résidence. Malgré la précarité de leur situation, elles ont décoré l’entrée du terrain avec des pierres blanchies à la chaux, des fleurs en plastique et des nains de jardin. La ferraille qu’elles recyclent est soigneusement rangée à proximité. L’ordonnance du TGI du 22 mars

par Lindingre

2012, tout en soulignant le caractère illicite de l’occupation, s’appuie sur une décision du Conseil d’État du 10 février 2012 : le non-respect du droit à l’hébergement d’urgence pour des personnes en détresse est une atteinte aux libertés fondamentales3.

Sur la page d’accueil de son blog, Nora Preziosi balance un discours très politiquement correct. Sa priorité n°1 ? « Le droit au logement pour chacun »… Priorité n°4 : « la lutte contre les discriminations »… Priorité n°6 : « retrouver la joie de vivre tous ensemble »… La n°7 ? « Une meilleure justice sociale »… Mais la candidate en campagne sait aussi caresser l’électeur frontiste dans le sens du poil : « Au mois de septembre une habitante de Château-Gombert n’a pas pu scolariser son enfant pour un manque de place. Dans le même temps au cours de l’année scolaire cette école a inscrit cinq enfants de ce campement illicite. Il faut arrêter de se moquer de nous. Stop ! »

À Aix-en-Provence, la maire Maryse Joissains a déclaré « ne plus vouloir un seul Rom sur sa commune » avant de déposer auprès des tribunaux un « référé d’heure en heure », applicable « en cas de trouble à l’ordre public ». Ce qui permet d’expulser fissa et à la chaîne. En septembre 2011, Caroline a vu le préfet de police Alain Gardère invectiver une Rom lors de l’expulsion du campement de La Capelette : « C’est indigne, la façon dont vous élevez vos enfants. Vous n’avez pas le droit de rester ici. Vous devez rentrer dans votre pays. »

Au printemps, François Hollande déclarait dans une lettre aux associations : « Je souhaite que lorsque un campement est démantelé, une solution alternative soit proposée. » Mais depuis son arrivée au pouvoir, aucun infléchissement de la traque aux Roms n’a été observé. Le harcèlement est quotidien, la police distribuant des OQTF4 à tour de bras. Le but est de les dégoûter de revenir bien qu’ils en aient le droit.

Quand elle se souvient du jeudi 24 mai, Caroline en frémit : « Ces prémisses de pogrom me rappellent les ratonnades des années 1970. » Bernard Eynaud ne porte pas plainte et l’UMP fait profil bas. Afin de calmer le jeu, le mari de Nora, l’avocat Jacques-Antoine Preziosi, a téléphoné à la LDH en affirmant que son épouse avait été bouleversée par le dénuement dans lequel vivent « ces gens-là ». « Elle a pris un enfant dans ses bras, elle en avait les larmes aux yeux. » Car son épouse est également adjointe au maire déléguée à l’action familiale, ainsi que membre du Haut Conseil à l’intégration5

« Je demeure persuadée que la liberté est le moteur de l’existence, [qu’il faut] en toutes circonstances demeurer libre d’agir, de penser, d’aller et venir. » Voilà la conclusion du discours de Nora Preziosi, fille d’immigrés berbères et ex-shampouineuse entrée en politique, lorsqu’en août 2010, au palais de l’Élysée, on la fit chevalier de l’Ordre national du mérite. Certains mots ne mangent pas de pain, d’autres en distribuent à la volée.


1 « Rapts d’enfants : comment la rumeur s’est propagée », La Provence, 20 juin 2008. Tout en colportant une rumeur qui fait vendre du papier, le quotidien fait mine de s’horrifier devant l’infinie crédulité du populo. Il dut faire machine arrière et licencier le journaliste impliqué.

2 20 Minutes, 17 janvier 2011.

3 Contrairement à ce que laissait supposer notre précédent article (CQFD n° 97), ces Roms ne sont pas des nomades. Dépourvus de livret de circulation, ils ne peuvent prétendre aux aires d’accueil que chaque municipalité est censée mettre à disposition des gens du voyage.

4 Obligation de quitter le territoire français.

5 CQFD a tenté de joindre Mme Preziosi pour connaître sa version des faits, en vain.

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