Querelles mémorielles autour d’un massacre nazi

« Panchot » : la somme des mensonges sur lesquels personne n’est d’accord

Incendié par les nazis à la fin de la Seconde Guerre mondiale, le bourg de Valmanya fait figure de « petit Oradour » pyrénéen. Mais derrière l’image consensuelle du village martyr, se cachent de vieux enjeux politiques et d’ancestrales chamailleries paysannes. Dans Panchot, une enquête romancée, Sébastien Navarro remue la lie du passé, en tirant une piquante réflexion sur l’instrumentalisation des mémoires et la vacuité des commémorations officielles des drames de la guerre.
Par Mortimer

Le 1er août 1944, 600 soldats allemands et miliciens français s’engagent sur la route de Valmanya, dans les Pyrénées catalanes. Leur objectif ? Mater le maquis du Canigou, qui a pris ses quartiers un peu plus haut, dans l’ancienne colonie minière de la Pinouse. Grâce aux guérilleros républicains espagnols qui harcèlent le convoi nazi, d’autres résistants ont le temps d’organiser la fuite des 150 villageois. Quatre vieillards décident de rester : ils seront sauvagement exécutés. Enceinte, une jeune femme demeure également au village : elle sera violée devant ses enfants. Méthodiquement, le bourg est pillé, puis incendié. Du côté de la Pinouse, les Francs-tireurs et partisans résistent un temps, avant de décrocher. Leur chef, Julien Panchot, est blessé : capturé par l’ennemi, il est sauvagement assassiné.

Voilà pour la version consensuelle de l’histoire. Il y en a d’autres… C’est ce qui a intrigué le camarade Sébastien Navarro, vieux compagnon de route de CQFD, qui signe avec Panchot son premier bouquin, aux éditions Alter Ego.

La « vérité historique » ?

Au début de cette enquête, il y a un vidéaste amateur. Anticommuniste notoire, André Soucarrat réalise dans les années 1990 un documentaire sur Valmanya remettant en cause l’histoire officielle. Prétendant détenir la « vérité historique », l’homme affirme que si les Allemands ont attaqué Valmanya, c’est parce que trois jours plus tôt, les maquisards avaient investi la sous-préfecture de Prades, faisant trois morts innocents. Selon le documentariste, Julien Panchot était une saloperie de stalinien ; d’ailleurs c’est par ses propres hommes qu’il aurait été blessé, parce qu’il refusait de décrocher, les exposant ainsi à une mort certaine face à un adversaire par trop supérieur.

Sébastien Navarro poursuit son enquête. Il rencontre des historiens, épluche la documentation, cherche des témoins. La version de Soucarrat est loin de faire l’unanimité. Mais surtout, chacun a la sienne propre, différente. Quand l’enquêteur parvient à rencontrer un maquisard ayant survécu à l’attaque de Valmanya, c’est pour entendre, quelque temps plus tard, un historien lui dire qu’il pense que le vieil homme ment, qu’il n’était pas présent ce jour fatal à la Pinouse. Alors, quid de « la vérité » dans tout ça ? Un des interlocuteurs de l’auteur cite une phrase attribuée à Churchill : « La vérité historique c’est la somme des mensonges sur lesquels tout le monde s’est mis d’accord. »

On sait comment, après-guerre, le général de Gaulle et la classe dirigeante ont vendu l’image d’une France toute entière résistante. Dans Panchot, plusieurs historiens reviennent sur « le mythe » des 75 000 fusillés du Parti communiste martyr. À Valmanya, différentes mémoires s’affrontent pour s’approprier le drame, quitte à omettre des pans entiers de l’histoire. Ainsi, le souvenir des guérilleros espagnols (combattants républicains ayant perdu la guerre civile et qui espéraient bien, après en avoir fini avec les nazis, retourner en Espagne dézinguer Franco) restera longtemps occulté, d’une part parce que du point de vue français, la résistance ne devait avoir été que nationale, d’autre part à cause de dissensions internes au Parti communiste espagnol en exil.

« Les valeurs de la Résistance ne se transmettent pas »

Ce genre d’injustices énerve. Les commémorations aussi, auxquelles l’enquêteur s’oblige à assister. Sempiternel spectacle d’affliction forcée où ceux qui représentent aujourd’hui l’ordre officiel versent des larmes convenues sur le sort de résistants tués dans le passé par ceux qui représentaient alors… l’ordre officiel. Las d’entendre un énième appel sans éclat au devoir de mémoire, Sébastien Navarro écrit : « Une pensée sourde m’assaille : comment à force d’être rabâchées, servies et recyclées par tout un tas d’instances officielles, des idées nobles en viennent à perdre leur sel subversif. »

Et quand une oratrice professe que « les valeurs de la Résistance sont et devront toujours être celles de notre République », l’écrivain s’insurge : « Rien de plus faux. Le pouvoir, fût-il républicain, sera toujours affaire d’absolutisme. Quant à la Résistance, quels que soient les lieux et les époques, elle est un illégalisme. » Et d’asséner : « Les valeurs de la Résistance ne se transmettent pas, elles s’éprouvent dans une prise de risque quotidienne et les amitiés secrètes. Le meilleur hommage que l’on peut rendre aux maquisards tombés il y a soixante-dix ans est de décliner leur lutte dans les combats d’aujourd’hui. Reste à s’accorder sur la figure de l’ennemi à combattre. C’est bien là que les choses se compliquent. »

Clair Rivière
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