Chronique de guerre

Ordre public à Belleville

Devant nous, à quelques mètres, sur le terre-plein du boulevard, un couple. Elle, folle de rage, tendue comme un ressort en direction des forces anti-émeutes postées sur le trottoir d’en face, lui, la retenant de ses bras pour l’empêcher de se jeter toute crue dans la gueule du loup. Elle hurle : « Enculés de flics ! » Lui a beau être plus prudent, il hurle la même chose, aussi furax que sa copine. Une panoplie de Judge Dredd pénètre mon champ de vision. Épaules de footballeur américain, bouclier sur le bide, matraque prête à matraquer. Alors que le gars amorce un mouvement de repli en tentant désespérément d’emmener sa copine, le flic s’avance vers eux et se pourlèche : « Viens, petit enculé, petit pédé. Allez, viens me le dire en face. » Et c’est parti. Coup de savate pour faucher le gars, le gars qui tombe, coups de matraque, sa copine qui braille et qui chute à son tour, d’autres flics qui déboulent et ferment le cercle autour du couple. Moi, par réflexe, je fais deux pas en avant, les paumes des mains levées : « Oh, c’est bon, on se calme… » L’abbé Pierre débarquant au milieu d’une baston de Hell’s Angels danois n’aurait pas paru plus inoffensif, mais j’ai à peine entamé mon laïus de nigaud qu’un coup de rangers me cisaille les mollets. Je m’écroule, ma hanche frappe le bitume, je me redresse à moitié et voilà qu’un des flics m’aligne avec son lance-flammes. Le jet brûlant m’arrive droit dans l’œil gauche. Du gel lacrymogène, une saloperie visqueuse conçue pour t’en mettre plein les doigts quand tu t’essuies1. J’ai les yeux qui crament et la gueule en feu. Me relevant, je discerne entre mes larmes fumantes la silhouette d’un type apparemment normal, en tout cas sans uniforme, qui s’enquiert aimablement : « Qu’est-ce qui se passe, vous allez bien ? » En fait, un flic en civil. Un de ces francs-tireurs à capuche qu’on avait vu sortir des rangs bleus quelques secondes auparavant.

Des condés qui bastonnent tout ce qui passe, ce n’est pas nouveau, même si ça produit toujours son effet. Mais des condés en civil qui jouent les bons princes, c’est plus inattendu. Leur sollicitude, endurée par d’autres passants agressés cette nuit-là, visait probablement à évaluer l’état de la barbaque et, surtout, la menace que celle-ci pouvait représenter pour l’ordre public. Ai-je pris des photos ou vais-je en prendre, ai-je l’intention de porter plainte ou de revenir avec un bazooka ? Mais le rôle des encapuchonnés ne consistait pas seulement à espionner les victimes de leurs collègues. Karima, l’amie qui m’accompagnait, peut en témoigner comme moi : le seul incident qui paraissait devoir justifier l’attroupement des robocops se bornait à quelques jets de bouteilles. Or ces bouteilles venaient des véhicules de police stationnés en face. C’est aux pieds des badauds qu’elles explosaient et ce sont les flics en civil qui, manifestement, les jetaient eux-mêmes. Stratégie de la tension ? Désir atavique de créer un micro-climat propice aux petits Pinochet ? Bonne question.

Au fait : les évènements relatés ici se sont déroulés boulevard de Belleville à Paris, tout près de la rue Ramponneau, le 12 décembre 2010 à 3 h 15 du matin. On ne sait pas ce qu’est devenu le couple qui a outragé les « enculés de flics ».


1 Un conseil : ne surtout pas rincer à l’eau. Autant soigner un grand brûlé en l’enduisant de harissa. Utiliser plutôt du sérum physiologique ou, à défaut, une serviette jetable.

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2 commentaires
  • 26 janvier 2011, 14:42, par alpacks

    Ben on aurait aimé savoir qu’est ce qu’avait eu la manif pour origine ? Nan ?

    • 2 février 2011, 03:35, par sakura

      Un autre témoignage sur cette mémorable soirée ici : http://paris.indymedia.org/spip.php...

      Sinon, selon un des piétons présents sur les lieux, la descente aurait été déclenchée par une embrouille au squat de la Forge, ce qui reste à confirmer.

  • 2 février 2011, 12:05, par sakura

      Quelques conseils contre les lacrymos :

    - Contre le type de gel lacrymo décrit dans l’article, ce qui marche très bien aussi c’est un mélange 50% de Maalox (médicament contre les brûlures d’estomac), 50% d’eau. Attention : ne pas utiliser de Maalox pur. Penchez le tête sur le côté pour ne pas vous inonder. Mais c’est vrai que le sérum physio est plus facile d’utilisation... Il est en tout cas amplement suffisant pour la plupart des gaz, notamment ceux tirés en cloche.

    - En cas d’inhalation ou d’ingestion : boire quelque chose d’acide (jus de citron, jus d’orange, vinaigre...) ou du Maalox. Sucer des pastilles pour la gorge, notamment celles qui contiennent des anesthésiants locaux, est conseillé aussi.

    - Le citron et le vinaigre sont aussi recommandés comme méthode de prévention, en cas de tirs de lacrymos en cloche, notamment : dans ce cas, en appliquer sur un foulard ou une écharpe et respirer au travers, ça atténuera l’effet des gaz. Là aussi, éviter l’eau : mieux vaut respirer à travers un linge sec.

    - Une simple paire de lunettes de piscine suffit à protéger les yeux. Attention cependant, la buée se forme très vite à l’intérieur, donc ne les portez pas en permanence, mais tenez les prêtes pour pouvoir les enfiler vite. Et si vous les portez sur le front avant de les mettre, tournez les vers l’extérieur afin d’éviter la formation de buée. Ne les mettez pas si vous êtes déjà en contact avec le gaz : il restera enfermé à l’intérieur.

      Pour la protection contre les coups et tirs divers :

    - Un casque de vélo peut toujours être utile, tant contre les cartouches qui vous retombent sur la tête que contre les matraquages. De plus, le casque vous permettra de vous concentrer sur votre environnement puisque vous n’aurez plus à vous préoccuper des dangers venus du ciel. Sachez cependant que le port d’un casque, même de vélo, peut toujours être considéré comme une provocation, voire une arme. Évitez donc les casques trop « lourds », type casques de moto. Dans tous les cas, attachez votre casque, afin qu’il ne s’échappe pas à la moindre course-poursuite ou au moindre plaquage au sol.

    - Une casquette ou un chapeau rembourré avec du tissu ou du papier peut aussi constituer une protection, qui a l’avantage d’être plus discrète mais cependant moins efficace qu’un casque.

    - Contre les coups, tirs de fash-ball, etc. : rien de mieux qu’un blouson en cuir avec quelques épaisseurs de fringues dessous. Gants de motard pour les mains, sac à dos avec quelques CQFD dedans pour protéger la colonne vertébrale (avec ceinture ventrale pour le maintien, c’est l’idéal), foulard ou écharpe avec éventuellement une casquette portée à l’envers pour protéger la nuque, et le tour est joué !

    - Contre les grenades assourdissantes et les canons à son : des bouchons dans les oreilles. Inconvénient : vous percevrez moins bien les sons qui vous entourent, ce qui peut être handicapant.

    - Ne pas oublier enfin de bonnes chaussures pour courir, qui tiennent les chevilles si possible.

    - Une des meilleures protections contre les arrestations reste le groupe, donc évitez de rester seul : évoluez avec un groupe de deux à cinq personnes.

    Attention cependant : il est évident vous pourriez passer pour un « agent provocateur » ainsi accoutré, et être plus facilement arrêté voire mis en cause par les flics en cas de « violences ».

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