Planning familial

« On ne mendie pas le droit »

Avec ses 150 lieux d’information, le planning familial procède à un maillage du territoire. Sexualité, IVG, homophobie, violences conjugales : la crise économique met à vif les rouages d’une société patriarcale. Aux premières loges, les femmes du Planning racontent.
Par Soulcié.

Badou et Sabine sont deux salariées du planning familial de Perpignan. Pour mener à bien les missions de l’association, elles sont appuyées par une équipe de bénévoles dont Jeanne-Louise fait partie. Badou : « Tout le monde pense que les centres du planning familial seront toujours là, qu’il n’y a plus besoin de lutter, de se battre. » Sabine : « C’est un peu comme le droit à l’avortement, les gens pensent que depuis 1975 il n’y pas plus de problème. » Jeanne-Louise : «  Et puis il y a eu l’Espagne et là on a eu très peur parce qu’on s’est dit que ça pouvait nous arriver aussi. » Le 20 décembre 2013, le gouvernement conservateur de Mariano Rajoy (Parti populaire) adoptait un projet de loi de criminalisation de l’avortement1. L’onde de choc atteint l’Hexagone où, après les manifestations anti-mariage pour tous et contre la théorie du genre, on redoute ce retour à l’ordre moral. Badou : « Quand on a appris pour l’Espagne, on a réagi très vite. On a organisé une manifestation devant le consulat d’Espagne entre midi et deux où il y a eu pas mal de monde. Après le Collectif droit des femmes du département a pris le relais. » A moins de 100 kilomètres de Perpignan, côté espagnol, se situe la ville de Gérone. Là, des cliniques privées proposent à des femmes ayant dépassé le délai légal d’avortement français des IVG jusqu’à la 22e semaine de grossesse, pour des tarifs oscillant entre 580 et 3 000 euros. Plus avancée est la grossesse, plus salée est la facture.

Deux demi-journées par semaine, le planning de Perpignan tient des permanences d’écoute et de conseil, anonymes et gratuites autour de la sexualité, contraception, avortement, violences conjugales, prévention. Parallèlement, l’association organise des interventions dans le milieu scolaire et de la formation professionnelle. Dans un des bureaux du planning perpignanais, on peut voir une affiche du Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (Mlac) sur laquelle des femmes, poing levé, exigent : « On ne mendie pas juste un droit, on se bat pour lui. » Actif de 1973 à 1975, le Mlac a fait partie de cette conjugaison de forces militantes ayant abouti à l’adoption de la loi sur l’IVG de 1975. Une loi qui, si elle n’est pas ouvertement attaquée en France aujourd’hui, s’inscrit dans un contexte de régression sociale pas vraiment rassurant.

« La majorité des demandes qu’on reçoit concerne l’accès à l’IVG, explique Sigrid du planning de Toulouse. Ce qui n’est pas anodin quand tu vois la complexité des démarches : par quoi je commence ?, qui je peux aller voir ? – tu peux tomber sur un professionnel de la santé anti-IVG, ce qui arrive assez souvent, qui ne va pas te filer les renseignements demandés. Jusqu’à peu, quand tu faisais une recherche sur Internet, le premier site référencé était ivg.net : un site à l’air tout à fait anodin mais qui ne filait aucune information et était en fait un site anti-IVG. Les anti-IVG sont très actifs sur Internet, on reçoit des femmes qui ont essayé d’avoir des infos sur des forums où les témoignages sont là pour les dissuader, en parlant du risque élevé de l’intervention, le tout nourri de témoignages horribles. »

Entre « l’avortement de confort » éructé par Le Pen et consorts et les psalmodies bêlées par les bigots des « marches pour la vie », les messes « pro-vie » et les kermesses de rue labellisées « manif pour tous », on ne peut qu’acquiescer lorsque Sabine résume : «  Dans un contexte de crise générale, les premières personnes à qui on s’en prend, ce sont les femmes. »

Autre constat fait dans les accueils des centres du planning : les dernières saillies des opposants au « mariage pour tous » ont fait sauter les digues d’une homophobie jusque là plus contenue. Sigrid : « Dans les classes, on a une séance autour du genre. Cette année, il a fallu bien expliquer notre démarche vu le contexte produit par les anti-mariage pour tous et les anti-gender2. Le corps enseignant flippe des réactions des parents, tout le monde devient frileux. Quant à l’homophobie, elle s’est décomplexée. On peut dire tout et n’importe quoi, que c’est pas naturel, qu’on va les cramer. » Et Sabine d’ajouter, la voix un peu blanche : « Dans les classes, il y a de moins en moins de retenue de la part des garçons. L’homophobie et le sexisme, tout ce qui a trait au culte de la virilité, explosent. On entend des propos hyper haineux du style si j’ai une fille plus tard, ben à 14 ans je l’enferme. » Ailleurs, c’est le prof de sport qui motive ses élèves en beuglant le toujours délicat : «  Allez, on n’est pas des tapettes ! »

Mouvement féministe, le planning a dû faire face à ces deux brûlots, savamment entretenus par la task force politico-médiatique : la prostitution et le voile islamique. On sait à quel point ces deux lames de fond ont fracturé les milieux féministes. De son côté, le planning s’est prononcé, au niveau national, contre le projet de loi de pénalisation des clients, estimant que ce dispositif « pénalise les personnes prostituées en priorité » et a insisté pour que les actions à mener se fassent avec les associations de terrain et en prenant en compte la parole des prostituées. A l’intérieur des plannings, cette position ne fait pas l’unanimité. « Ce qui ne pose pas de problème vu qu’on n’est pas dans un mouvement sectaire », précise Sabine. Quant au voile islamique, Sigrid accueille régulièrement des femmes, « qu’elles gardent ou enlèvent leur foulard. On prend en compte les personnes dans leur globalité. » Sachant que pour arriver jusqu’au planning, ces dernières racontent les brimades ou remarques vexatoires qu’elles auront entendu le long du chemin.

Structures fragiles et éminemment politiques, les centres du planning familial ne doivent leur survie qu’à des subventions qui peuvent fluctuer au gré des différentes mandatures nationales ou locales. On se souvient qu’en 2009, Fillon avait voulu affaiblir l’association en l’amputant de 40 % de ses crédits. Ce n’est qu’après une énergique mobilisation que le Premier ministre sarkozyste avait reculé. « Chaque année on ne sait pas ce qu’on va recevoir. On fait les dossiers de subvention en décembre, on a les réponses dans l’été et on touche l’argent en fin d’année. Chaque association départementale est indépendante et doit trouver ses propres financements. Ce qui est nouveau, c’est qu’on a été obligées d’aller chercher de l’argent dans le privé, vers la Fondation de France. Bon, on n’est pas allées voir Vinci mais on a dû se replier vers le privé », constate Sigrid.


1 Hormis deux cas de mise en danger de la vie de la mère ou de grossesse résultant d’un viol. Le projet de loi est toujours en discussion aujourd’hui au sommet de l’état espagnol.

2 Opposants à l’enseignement de « la théorie du genre ».

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