Occupation maraîchère contre éco-bétonneurs

À Dijon, depuis bientôt trois ans, de joyeux zigues binent la terre sur une friche maraîchère et luttent pour défendre cet espace voué à la rénovation urbaine.
par Rémy Cattelain

Ce sont près de 28 hectares de friches, dont six de terres cultivables, qui doivent être réhabilités en un éco-quartier baptisé « Le Jardin des maraîchers », en référence au passé agricole du coin. Ce projet urbanistique, prévu pour 2015, a été conçu par Nicolas Michelin, architecte qui se targue de s’inspirer du « génie du lieu », qu’il définit comme « l’impression, l’air, l’atmosphère… [car] nous devons nous imprégner de ce qui existe, de l’histoire, des hommes, avant de construire1 ».

« Le génie du lieu, c’est plutôt nous qui le portons, en refaisant vivre cet ancien quartier maraîcher ! », s’exclame une jardinière du coin. Ce « nous » rassemble voisins des HLM alentours, squatteurs ou jardiniers de tous horizons qui se sont réappropriés ce lieu baptisé Les Lentillères.

Tout commence en mars 2010, quand 200 urbains et paysans occupent une parcelle en déshérence et lancent un potager collectif, le Pot’Col’Le. « Petit à petit, on a repris la friche ! s’enthousiasme Gérard, paysan squatteur du cru. Aujourd’hui, quatre maisons sont squattées ainsi qu’une boucherie qui sert de refuge à des demandeurs d’asile. Il y a le Pot’Col’Le et une quinzaine de petits jardins, un rucher et une ferme maraichère. Sans compter la salle polyvalente où se déroulent réunions et autres fêtes ! ».

Dans cette friche en attente de rénovation, l’urbanisme ne se décline pas en concepts, il se vit au quotidien. « On pense l’espace ensemble et on concrétise nos envies lors de chantiers collectifs ». Ici, il n’est point question d’attractivité, de compétitivité ou encore de fonctionnalité de l’espace urbain. La vie est avant tout rythmée par la densité du social entre squatteurs, jardiniers et habitants du quartier.

D. R.

« À la base, on lutte pour que ces terres très fertiles ne soient pas bétonnées et pour défendre ce qu’on y construit. Mais ce qu’on porte sur la friche, c’est quelque chose qui va au-delà de ces revendications. Sous leur discours de façade à hautes teneurs participatives et écologiques, les décideurs défendent une vision capitaliste de la ville, où chaque mètre carré doit permettre de tirer le maximum de profit. Pour nous, la ville doit être le fait des habitants et non pas celui des technocrates ! », renchérit Gérard.

« Comme le collectif qui a ouvert le Pot’Col’Le était assez éclectique, au départ on a joué la carte du dialogue ». Il apparaît rapidement que l’émulation autour de la friche n’est pas du goût de la municipalité. « En fait de dialogue avec la mairie, on s’est surtout retrouvé face à des bulldozers. » Une première fois pour détruire une maison tout juste expulsée en 2010, puis une seconde fois en mars dernier : « On avait annoncé l’expansion des potagers. La mairie a alors envoyé un bulldozer faire des trous énormes sur une parcelle voisine non cultivée, histoire d’empêcher toute réappropriation. Le dialogue, ça fait longtemps qu’il n’est plus à l’ordre du jour. » Grave erreur politique. « L’anniversaire du Pot’Col’Le en mars a initié l’ouverture de nombreux jardins. Je crois que leur histoire de trous a joué plus en notre faveur qu’en la leur ! »

En effet, courant avril, une bande de jardiniers sans terre se met en tête de reboucher les trous et ouvre une ferme maraîchère en reprenant ironiquement le nom du projet municipal2. « On propose nos légumes à prix libre sur place tous les jeudis où viennent voisins, précaires et autres galériens du foyer social d’à côté, explique Gérard. Ce sont avant tout des rencontres, une manière pour nous de faire connaître ce qui se vit ici. Ça a été pensé comme une stratégie pour s’ouvrir vers l’extérieur, chercher du soutien au-delà de nos réseaux. »

La lutte s’organise maintenant en assemblées et début octobre, la fête de la friche a réuni plus de 400 personnes autour de concerts, ateliers, jeux et pizzas. Pied de nez aux éco-bétonneurs, les festivités se clôturaient par une tombola où le gros lot à gagner n’était rien de moins qu’une « parcelle de potager sur le quartier des Lentillères à défricher soi-même ! ».


1 Le Journal du Palais, septembre 2011.

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2 commentaires
  • 3 février 2013, 10:21, par clotilde

    Bravo pour cette magnifique initiative ! Notre planète se meurt à cause de la déforestation, du bétonnage à tout-va, du manque de lien avec la nature et par ricochet, avec l’autre. Toutes les initiatives comme la vôtre sont précieuses même si elles semblent dérosoires. J’espère que vous gagnerez !

  • 6 février 2013, 17:45, par Théo

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