Moudre et fourbir

Malgré la publicité, les subventions plus ou moins déguisées, les investissements privés et autres « États généraux », l’agonie de la grande presse française n’a jamais été aussi proche. Une atmosphère délétère qui n’est pas sans effet pour les petits indépendants comme CQFD.

Et pourtant, leurs déconvenues nous font plutôt marrer, même si nous nous trouvons, toutes proportions gardées, un peu dans la même panade. Le Monde – devenu récemment propriété de Pierre Bergé, Xavier Niel et Mathieu Pigasse, ou « trio BNP » – se vend maintenant à 1,50 euro le bout. Libé, « contraint de réajuster à la hausse son prix de vente afin de faire face à l’augmentation des coûts du papier et de la distribution », passe à 1,40 euro. Quant au quotidien économique La Tribune, il a été placé pour six mois en procédure de sauvegarde, ce qui lui permet de geler ses dettes et de continuer d’exister. Ces canards ont de la pub, plein. De l’argent public, pas mal. Du fric privé, énormément. Et ils en chient tout de même du papier mâché. Il semble évident que, pour qui veut gagner du gros pognon, il est préférable d’inventer un réseau social sur le Net. Et que dire de ceux, suivez mon regard, qui s’échinent à imprimer de l’info critique, des dessins aussi beaux que rigolos, et des photos top tip top !

« Il existe encore une presse militante […] impulsée par des gens qui paient de leur personne et qui offrent leur temps. Hormis ce cas, admirable mais rare, un travail journalistique à plein temps doit […] être rémunéré […] », écrivait Serge Halimi, le taulier du Monde Diplomatique, en octobre 2010, lors d’un appel à soutien aux lecteurs (eux aussi…). C’est tout nous, ça. Enfin non, pas pour « presse militante ». CQFD n’en fait pas partie. C’est de la presse, point. Un journal comme les autres, sans chapelle aux murs épais à défendre. Nous avons juste l’honnêteté d’assumer notre subjectivité. Nous parlons, écrivons, interviewons depuis notre camp, celui des grains de sable, des erroristes, des rigolards et des moqueurs. Ceux qui fuient les petits chefs et les hiérarchies, mais qui ne rechignent pas pour autant à en découdre. Bref.

On disait ? Oui, c’est tout nous, ça, « des gens qui paient de leur personne et qui offrent leur temps . » Cela fait quelques années – bientôt huit, ma brave dame – que nous sommes « rares » et « admirables », malgré tout le soutien, chers lecteurs, que vous nous témoignez régulièrement. Actuellement, pour faire tourner cette aventure mensuelle de critique et d’expérimentation sociales, nous comptons principalement sur les bonnes volontés – et sur quelques indemnités chômage –, mais salarions tout de même deux d’entre nous vingt heures par semaine pour 600 mirifiques euros par mois. Vingt heures, n’y croyez pas, hein, c’est sur le papier… Ils souffrent beaucoup plus que ça.

C’est bien, mais ce n’est pas suffisant. Et ce n’est pas parti pour s’arranger. Réforme de Presstalis (ex-NMPP) oblige, la manne relative aux ventes en kiosques a été amputée de 30 % du jour au lendemain. Dernièrement, la grève des camarades de cette même boîte – elle maltraite aussi bien ses salariés que ses coopérateurs – a induit un méchant retard sur la mise en vente du numéro de décembre. Bloqué au dépôt, il n’est arrivé qu’à Noël chez vos marchands de journaux. Et l’on sait par expérience que vous n’êtes pas de grands patients : quand le canard n’arrive pas à l’heure dans les linéaires, un tiers d’entre vous ne l’achètent plus…

Pour éviter ce genre de déconvenue, nous vous incitons fortement à vous abonner. Tout en continuant à l’acheter en kiosque pour l’offrir, cela va de soi. Et, pour compenser les pertes occasionnées, nous avons fixé le prix de vente de ce numéro à 3,50 euros, alors qu’il aurait dû être, si nous étions foncièrement honnêtes, à 3,20 euros.

Mais il faut au moins ça, pour continuer à mordre et tenir. La gnaque est toujours là, la preuve en est l’excellent supplément « urbanisme » de ce mois-ci. Et nous avons quelques projets qui pointent le bout de leur nez, ne demandant que quelques ronds d’avance pour s’épanouir : des hors-série à thème, des recueils de dessins…

Cela dépend de nous, de nos envies, de nos énergies. Cela dépend de vous, de vos envies, de vos énergies. Et de votre soutien.

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Paru dans CQFD n°85 (janvier 2011)
Dans la rubrique Médias

Par L’équipe de CQFD
Mis en ligne le 31.01.2011