Cap sur l’utopie

Merde à Dieu et à Saint-Simon !

La réédition, chez Perrin, d’Histoire du saint-simonisme, frigoussée en 1931 par le « membre de l’Institut » Sébastien Charléty (l’homme du stade !) et ressortie en 1965, a l’immense mérite de permettre d’être définitivement dégoûté par le Saint-Simon-circus en toute connaissance de cause. Le compassé préfacier de l’exhumation, l’agrégé d’histoire Jean Lebrun, ne s’y trompe d’ailleurs pas en présentant sans rire le socialisme utopiste industriel à la Saint-Simon-enfantin comme « une anticipation du macronisme », avec l’assentiment inattendu de Gérard Collomb qui n’a pas hésité à claironner après plusieurs années de mairie à Lyon : « Je ne suis pas socialiste, mais saint-simonien.  »

Jambon à cornes ! Voyons s’il n’y a pas là un peu d’exagération. En très très gros, que proposent les « pèlerins de l’esprit » saint-simoniens pour réformer scientifiquement la société et précipiter le règne de « la fraîcheur fraternelle » ? Eh bien, en très très gros donc :

- L’arrogance crasse. «  Je vais vous dire ce qui se fera, par qui cela se fera et de quelle manière cela se fera.  »

- Le chauvinisme pompier. « Nous serons la nation forte qui ne craint pas de garder les fenêtres ouvertes à tous les horizons.  »

- L’autoritarisme pétulant. «  En aucun cas le maintien des libertés individuelles ne peut être le vrai but du contrat social.  »

- La colonisation « s’amendant en association communale ». « Assurément, ce n’est ni la liberté ni l’égalité, mais il y a là le germe d’une hiérarchie nouvelle, d’une direction et d’une réglementation nouvelles du travail.  »

- Le « oui » au patouillis européen. On aspire à la constitution d’un parlement européen doté de deux chambres et de son « roi européen héréditaire  ».

- L’élitisme aux commandes. On croit trouver dans la physique, puis dans l’histoire, les lois dont l’application sauverait pragmatiquement le monde. La science positive est mythifiée. On décrète que la démocratie ne peut qu’être indirecte, qu’il n’est pas question que le peuple soit souverain. «  La foule ne peut prétendre à gouverner. Le gouvernement appartient de droit à ceux qui savent. La direction de l’humanité doit être confiée à un magistère de savants unis à des artistes élus par les hommes, payés par une souscription internationale.  »

- Le productivisme enragé. Puis c’est l’encensement des industriels. « Nous entreprenons d’élever les industriels au premier degré de considération et de pouvoir.  »

- L’effusion religieuse. Vu que l’enthousiasme manque, on se rabat sur la foi. Et on fonde sous la houlette du messie Saint-Simon une nouvelle religion tentant de se substituer au christianisme en louchant pas mal, qui plus est, du côté de l’islamisme. « Tous auront même Dieu, même dogme, même culte.  »

- L’affairisme outrecuidant. La plupart des disciples de proue de Saint-Simon partent en vrille spectaculairement. C’est ainsi qu’au Collège de France, le zélé Michel Chevalier proclame qu’il ne faut pas s’inquiéter de la distribution des richesses, mais seulement de leur accroissement. Et que le principal porte-gonfalon du mouvement saint-simonien Prosper Enfantin va jusqu’à reporter un moment toutes ses espérances révolutionnaires sur… Napoléon III.

- La propension à la divagation. Mais rien n’est perdu pour autant car Charlemagne apparaît en personne à Saint-Simon pour lui confier que « ses succès, comme philosophe, égaleront ceux qu’il a obtenus, lui, comme militaire et comme politique ».

Autrement dit, re-merde à Saint-Simon ! Et viva son fabuleux antonyme : Charles Fourier1.


1 Dont les œuvres complètes viennent d’être rééditées aux Presses du réel.

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