Massacre : Le Mexique dans tous ses démons

« Au Mexique, c’est tous les jours le jour des morts », affirmait une banderole lors d’une manifestation d’étudiants, profs et parents des 43 normaliens disparus le 26 septembre à Iguala, dans l’état du Guerrero. Le cadavre d’un des jeunes a été retrouvé le lendemain des faits avec la peau du visage et les yeux arrachés. L’ultra-violence endémique qui déchire le pays – avec ses dizaines de milliers de morts au nom de la « guerre au narcotrafic » –, a pris ce jour-là un tour démentiel. Comment expliquer que des policiers municipaux abattent six personnes et en fassent disparaître 43 autres pour « donner une leçon » à des élèves de l’école normale rurale d’Ayotzinapa qui manifestaient ? Quel intérêt ont les narcos – qu’on accuse d’avoir pris livraison des 43 étudiants des mains des policiers pour ensuite les trucider et les enterrer dans des fosses clandestines – à se mêler du maintien de l’ordre dans une ville de province ?

On savait que les mafias de la drogue avaient infiltré des pans entiers de l’appareil d’État mexicain. On découvre soudain que ces « familles » qui se partagent à feu et à sang le territoire ont diversifié leur business. L’ancrage local est devenu primordial, non seulement pour assurer la tranquillité des passeurs de cocaïne, mais aussi pour arrondir les bénéfices avec l’extorsion d’argent public et privé. L’étape suivante a été de placer des hommes de paille à la tête des municipalités, comme le maire d’Iguala, aujourd’hui en fuite.

Les « familles » ne peuvent régner que sur une société désarticulée. Là où les solidarités sociales opposent un contrepoids à cette déliquescence – comme c’est le cas au Guerrero, avec entre autres le phénomène des “polices communautaires” –, la mafia lâche ses sicaires. « Le massacre des étudiants d’Ayotzinapa est une action stratégique et préméditée pour semer la terreur et soumettre la société locale, analyse l’universitaire Guillermo Trejo. Ce faisant, le groupe mafieux Guerreros Unidos réaffirmait son pouvoir face aux mouvements sociaux et, par la même occasion, lançait un message aux entrepreneurs et commerçants qu’il rackette. »

Le symbole est puissant  : au moment de leur assassinat, les normaliens réquisitionnaient des bus pour se rendre à la commémoration du massacre de la place Tlatelolco, le 2 octobre 1968, où des dizaines d’étudiants avaient été mitraillés par l’armée pour faciliter la bonne tenue des jeux Olympiques. « Dans le massacre d’Iguala convergent passé, présent et futur. Comprendre ce massacre uniquement comme un acte atroce du crime organisé, c’est voir le présent sans comprendre le passé. Mais interpréter cet abominable événement uniquement comme un crime d’État, c’est regarder le présent avec les yeux du passé. » (Guillermo Trejo) Le 26 septembre 2014 marque déjà ­l’histoire du pays. Il met à nu l’interpénétration des cartels de la drogue, de l’État et de tous les partis politiques mexicains1. La réponse ne peut plus qu’être sociale.


1 Le maire d’Iguala en fuite et le gouverneur du Guerrero, forcé à démissionner, sont encartés au PRD, parti « de gauche ».

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